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De l’importance (parfois discrète) de la musique au restaurant

De l’importance (parfois discrète) de la musique au restaurant

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© Sara Bentot pour Club Sandwich

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Par Robin Panfili

Publié le

Playlist, ambiance, communion... Notre journaliste a mené l'enquête dans les haut-parleurs de plusieurs restos.

Un restaurant ne se résume pas exclusivement aux assiettes qu’il propose. Car si ce que l’on y mange est, certes, primordial, l’accueil, le décor et l’ambiance sont autant d’éléments qui jouent également un rôle dans l’expérience culinaire. La musique, par exemple, figure comme une composante déterminante dans l’identité d’un restaurant.

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Ainsi, s’il m’est facile de me souvenir des assiettes de chaque restaurant que j’ai apprécié, il en est de même pour tous les lieux où la sélection musicale m’a plus ou moins interpellé. Mulko est l’un d’entre eux. À la fois resto de quartier et cantine effervescente, ce restaurant à l’ancrage méditerranéen fortement assumé se retrouve parfois à jouer sur plusieurs tableaux : une ambiance plus détendue le midi, une atmosphère plus festive le soir.

“Quand on a monté le resto, on voulait une ambiance bouillonnante – la musique y joue pour beaucoup–, mais on a vite réalisé qu’à l’heure du déjeuner, les gens n’attendent pas le même ramdam que plus tard en soirée”, explique Cyril Dedieu, à la tête du restaurant, mais également auteur de ses playlists uniques jonglant habilement entre les tubes et les titres plus réconfortants d’artistes comme Alain Souchon, Balkan Beat Box, les Stones ou le label Habibi Funk.

(© Esu Lee via Instagram)

“Pas de règles”

Chez Éléments, ovni culinaire planté sur la côte basque à quelques encablures de Biarritz, la musique est la première chose qui vous happe au moment d’entrer dans le restaurant. Près du comptoir, sur une ardoise, entre quelques indications sur le sourcing et la philosophie du lieu, il est indiqué que l’on n’y acceptera “aucune requête musicale”. Et pour cause : “On est dans un bistrot gastro-punk, et on tâche de proposer une sélection musicale qui nous correspond, et surtout qui colle avec ce qu’on fait, explique Anthony Orjollet.

“Cela fonctionne au tempo. Il n’y a pas de règles, on fait ce qu’on aime. La musique colle vraiment à notre approche de la cuisine. Quand on prend un produit, on le prépare exactement comme on se le préparerait nous-mêmes, il en va de même pour la musique.”

Ici, les playlists sont imaginées comme la carte : le plus spontanément possible. “On pourra passer du classique, et juste après de la psy-transe. L’autre jour, on a passé une heure et demie des Dead Kennedys… On n’anticipe rien.” Pas de règles, répète-t-il.

La playlist d’Éléments

  • “Shadowplay” – Joy Division
  • “4th Chamber” – Genius
  • “Get Innocuous!” – LCD Soundsystem
  • Quimey Neuquén” – José Larralde
  • “I Fought the Law” – Dead Kennedys
  • “Société tu m’auras pas” – Renaud

Manger et écouter

C’est une philosophie que l’on retrouve également chez Hédone, la nouvelle adresse toulousaine du jeune chef en vue Balthazar Gonzalez. On y joue des vinyles de classiques jazz, de vieux morceaux de hip-hop, de soul mais également des artistes plus contemporains, Kendrick Lamar en tête.

“Pour moi, installer un système de son de qualité dans le restaurant était quelque chose d’évident et d’essentiel”, confie le chef. On n’a pas de playlist, on change les vinyles au fur et à mesure de la soirée.”

(© Hédone via Instagram)

La playlist de Mulko

“Ride On Ride On” – Boogie Balagan
“Mohal (Club Mix)”– Simo Bouamar
“New York USA” – Serge Gainsbourg
“Bulgarian Chicks” – Balkan Beat Box
“Now or Never” – Rachid Taha & Jeanne Added
“Brown Sugar” – Rolling Stones

Mais disserter sur le sujet de la musique au resto n’aurait que peu de sens sans mentionner C.A.M., la table parisienne du chef et petit prodige coréen Esu Lee. Une adresse où la musique tient une place cruciale, dans un lieu de tous les contrastes – une cuisine asiatique de haute voltige dans un décor dépouillé et à l’ambiance sonore baignant dans l’afrojazz et les classiques de l’afrobeat. Dans un long mail, Phil Euell, le proprio, s’est épanché sur ce parti pris audacieux.

“Il y avait l’idée de tirer parti de la présence du son dans un contexte alimentaire, afin de créer une association sensorielle unique. Un peu comme si à chaque fois que vous mettiez les baguettes à la bouche, le son de la batterie de Tony Allen [ami et surtout batteur de Fela Kuti, ndlr] venait rouler dans l’arrière de votre tête.”

Les Smiths, le dimanche

Les dimanches chez C.A.M. prouvent, eux aussi, toute la place et la force du contraste dans ce restaurant unique en son genre. Toute la soirée, une fois par semaine, on y joue les Smiths, et rien que les Smiths. Une référence aux “clubs soda” dominicaux (“pas d’alcool, mais beaucoup de drogues illicites”, dit-il) de sa jeunesse new-yorkaise, dans les années 1990.

“Dans l’un d’entre eux, The Angle, on jouait exclusivement les Smiths le dimanche soir. Avant, comme maintenant, les guitares énervées et les paroles mélancoliques ont suscité une émotion douce-amère. Je pensais que cela serait parfait pour C.A.M. Quoi de mieux qu’écouter les Smiths, dans toute leur magnifique tristesse, nostalgie ardente et désespoir, en mangeant et en buvant tard dans la soirée un dimanche…”

La playlist de C.A.M.

  • “Water No Get Enemy” – Fela Kuti
  • “Love and Death” – Ebo Taylor
  • “Lagos Special” – Bola Johnson
  • “Asafo Beesuon” – C.K. Mann
  • “Paint a Vulgar Picture” – The Smiths

Le client roi… ou pas ?

À la sélection musicale, et au niveau sonore, se heurtent toutefois parfois les envies de la clientèle – une étude récente et un podcast faisaient justement état de la frilosité de nombreux Français envers les restaurants trop bruyants. Difficile, en effet, de concilier les goûts de tous, quand bien même l’esprit et l’identité d’une adresse imposeraient un cadre et un décor artistique propre.

“On veut que la musique soit entendue, qu’elle ne soit pas en retrait, mais pas qu’elle prenne le pas non plus”, dit Balthazar Gonzalez de Hédone. On est toujours en train de toucher les boutons de l’ampli pour ajuster à l’ambiance en salle”.

Le jour de notre (énième) passage à Mulko, comme un symbole, c’était en entonnant le refrain de “Manureva” d’Alain Chamfort qui sortait des enceintes qu’une dame réglait son addition. Mais cela n’est pas forcément tous les jours ainsi. “Quand tu viens à Mulko, tu sais généralement où tu mets les pieds, mais la musique trop forte ou un groupe d’amis un peu trop festifs peuvent parfois déranger, c’est le jeu. Certains ne s’attendent pas à retrouver dans un restaurant le niveau musical d’un bar, reconnaît Cyril Dedieu. Mais comme je dis souvent : un restaurant, ça vit.” Associé à un chef franco-israélien et lui-même franco-espagnol, Cyril Dedieu insiste sur l’idée que Mulko est né, et vit, de cette “énergie”.

“Quand tu entres dans les bars et restos des villages basques, la télé est à fond et les gens parlent fort. Personne n’aurait l’idée d’aller couper la télé. On voulait retrouver ce bruit organisé.”

Le théorème de la boule Quiès

Chez Éléments, on se confronte aussi aux remarques sur le volume sonore. “Ça plaît à certains, ça déplaît à d’autres… Mais l’identité du lieu est comme ça, c’est assumé. Plus il y aura du monde, plus on va jouer fort, dit Anthony Orjollet à qui il ne viendrait jamais à l’idée d’ouvrir un restaurant sans musique. “Horrible”.

Parce que si la musique participe à l’ADN d’un lieu, elle offre aussi de précieux avantages pour un restaurateur. Avec un niveau sonore élevé, on n’entend pas la plonge, on peut parler au cuistot sans que la salle vous entende et puis, ça motive les équipes. “Mais, clairement, ça te met une pression en plus”, prévient-il.

La playlist de Hédone

  • “City Vapors” – Wax Tailor
  • “Destiny” – Otis Redding
  • “I Been Hurt” – Sam Frazier Jr.
  • “We” – Mac Miller

(© Eléments via Instagram)

“Tu te mets un peu en danger, car tu dois être encore meilleur dans l’assiette. En passant du punk à fond, tu t’accordes beaucoup de choses que d’autres restos ne se permettent pas. Tu te dis : ‘Bon, les gars, l’endroit n’est pas ouf, on a la musique à balle, les casquettes à l’envers…’ Tu le vois dans le regard des gens, c’est pas toujours leur truc, alors l’assiette doit faire ses preuves.”

Mais le compromis n’est jamais bien lorsque l’assiette fait le boulot. Après un repas chez Éléments, des clients sont venus interpeller Anthony Orjollet. “Bon, c’était bruyant, mais on reviendra avec des boules Quiès, car c’était très bon.” Pari gagné.