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En Suisse, à la découverte de la tarte à rien

En Suisse, à la découverte de la tarte à rien

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Par Laure Herpeux

Publié le

La tarte à la crème, ou tarte à rien, paraît un peu triste à première vue. À l’image de son pays d’origine, la Suisse, elle joue sur la discrétion. Mais méfiez-vous des apparences, un croc dans cette tarte, c’est le bonheur assuré.

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La tarte à rien ne s’offre qu’aux curieux. Pour la trouver, il faut se rendre sur les rives du lac Léman, à Dully, un petit village suisse qui ne paie pas de mine, puis oser pousser la porte de sa tout aussi discrète auberge communale. L’établissement est un modèle du genre : impossible de dire en quelle année nous sommes, la décoration traditionnelle et un peu kitsch semble n’avoir jamais changé. Une fois trouvée, le plus dur est fait, il ne reste plus qu’à commander ce dessert à l’apparence plutôt austère : la tarte à la crème.

Une pâte fine, croisement entre la crêpe et la pizza, nappée d’une crème encore tiède, onctueuse, caramélisée et parfaitement sucrée. Il y a tout ce qu’il faut : du crémeux, du croustillant, bref, du gourmand. Et le secret de fabrication est bien gardé.

La tarte à la crème répond à une règle bien connue : les plats les plus simples sont les plus redoutables à maîtriser. Ici, trois ingrédients : de la farine, du sucre et bien sûr de la crème. Mais pas n’importe quelle crème, de la crème suisse. “J’ai déjà essayé avec des crèmes françaises, mais ça n’a pas le même goût, c’est peut-être lié au pâturage” , sourit Nicolas Charrière, l’héritier de l’affaire familiale. Une des clés de la merveille tient dans la finesse de sa pâte. De ses deux doigts, il pince la nappe en papier jetable dressée sur la table : “Il faut qu’elle soit de cette épaisseur, environ 3 millimètres.”

Elle n’existe qu’à un endroit

Le chef l’assure, il est le seul dans toute la Suisse à maîtriser sa fabrication. “À l’origine, la tarte à la crème serait originaire de Fribourg, mais je n’ai jamais retrouvé une recette identique à la nôtre”. La tarte à rien est un trésor de famille inventé par la grand-mère dans les années 1940.  En 1964, le père de Nicolas l’inscrit à la carte de l’auberge et laisse à sa femme le soin de la préparer. “Ma mère passait des heures en cuisine à les fabriquer. Elle ne se ménageait pas. Elle roulait les pâtes, les pieds nus dans la farine parfois jusqu’à 2 h du matin” se souvient Nicolas Charrière.  C’est en voyant sa mère travailler qu’il a appris la technique.

À l’âge de 27 ans, il prend la relève du restaurant et depuis c’est toujours lui qui assure la fabrication des 250 tartes hebdomadaires. Pour l’épauler, il peut compter sur l’aide d’une de ses employés, la seule parvenue à maîtriser le tour de force.“Les autres employés, ils voient comment je la prépare… ils ont déjà essayé, ça leur colle aux doigts et ils n’y arrivent pas !” Pour le moment, personne pour assurer la relève dans la nouvelle génération Charrière, mais le chef ne s’en inquiète pas. “Je suis loin d’être parti hein”, lance-t-il avec un flegme typiquement suisse.

“Au départ, c’est une auberge spécialisée dans le poulet, mais finalement les clients viennent d’abord pour la tarte”. Aujourd’hui, 90 % des gourmands finissent leur repas avec la délicieuse gourmandise. Sa réputation dépasse même les frontières helvétiques, comme en témoignent les photos dédicacées accrochées au mur à l’entrée du restaurant : Michael Schumacher, Antonio Banderas, Jamel Debbouze ou encore Kofi Annan. De l’ONU à la Formule 1, tous ont cédé à la tentation. Certains sont prêts à faire des folies pour croquer dans la tarte. “Un jour, des clients m’ont fait une commande insolite. J’ai fait envoyer par avion 25 tartes à destination de l’Arabie saoudite” affirme Nicolas Charrière. Tarte à rien, partie de Suisse pour conquérir le reste du monde.