On a assisté au championnat du monde des pâtes : voici notre histoire

On a assisté au championnat du monde des pâtes : voici notre histoire

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Par Robin Panfili

Publié le

On a observé de jeunes chefs prometteurs du monde entier s’affronter autour de leurs meilleures recettes de pâtes.

Pour le Français d’origine italienne que je suis, c’est une occasion qui n’arrive qu’une fois (ou presque) dans une vie. À vrai dire, jusque-là, je ne m’étais encore jamais imaginé assister, de mon vivant, à un championnat du monde intégralement dédié aux pâtes, réunissant des chefs du monde entier, dans une compétition internationale de cuisine. Et pourtant, m’y voilà.

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Pour cette septième édition, le championnat du monde des pâtes s’est déroulé à Milan. Pour les 18 jeunes chefs — venus des quatre coins du monde, d’origine italienne ou non, officiant dans des restaurants à influence italienne ou non —, la mission était simple : franchir les différentes phases qualificatives en proposant une création de leur choix à partir de pâtes sèches.

Envoyé sur place, je me suis donné pour mission de vous raconter cette compétition de l’intérieur. Au programme : suivi des épreuves, et notamment du parcours du jeune chef français, Thomas Asti (Café Terroir, Lyon), passé par les cuisines de Yannick Alléno, Jean-François Têtedoie ou Takao Takano, qui a eu la responsabilité de représenter la France.

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Jour 1

9 h 30 | On arrive à La Pelota, dans le vieux quartier de Brera, à Milan. Dans cette ancienne salle de jeu de pelote basque historique, reconvertie en salle de réception, trois cuisines spacieuses sont installées en contrebas de gradins en béton curé. Dans le public, des journalistes et le gratin des influenceurs lifestyle du monde entier.

Depuis une estrade surélevée, qui n’est pas sans rappeler la table des professeurs de Poudlard dans Harry Potter, un jury trié sur le volet veille au grain :

  • Lorenzo Cogo, le plus jeune chef propriétaire étoilé par le Michelin en Italie. Il défend une cuisine aux influences internationales, de Tokyo à Sidney.
  • Viviana Varese, l’une des cheffes étoilées les plus réputées d’Italie. Elle est à la tête du restaurant Alice, à Milan, où elle a amené ses influences méditerranéennes.
  • Luigi Talenti, chef étoilé au restaurant Lume qui propose un savant équilibre entre un art culinaire traditionnel et une dimension gastronomique que l’on aime à décrire comme révolutionnaire.
  • Davide Oldani, chef et fondateur du mouvement “Cucina Pop“, qui promeut une cuisine moderne, actuelle et avant toute chose humble, tant pour les chefs que pour les consommateurs.
  • Holger Stromberg, chef issu d’une famille de restaurateurs allemands qui a officié en tant que chef de l’équipe de football allemande pendant près de dix années.
  • Britanny Wright, artiste et photographe culinaire américaine installée à San Diego. Sa démarche consiste à utiliser les fruits, légumes et différents produits alimentaires comme des objets d’art à part entière.

10 heures | Les chefs candidats défilent, drapeau à la main, comme aux Jeux olympiques. Derrière, les commis s’activent. La phase de qualification commence par un match entre l’Autriche et la Norvège, respectivement représentés par les chefs Sören Herzig et Benjamin Vikse Roth. Les autres chefs attendent d’entrer en piste.

11 heures | Dans la salle, les effluves de langoustine grillée et autres légumes rôtis commencent à jouer sur la concentration de l’audience. Ceux qui parviennent à suivre le déroulé des épreuves sont ceux qui avaient prévu le coup en se resservant au petit-déjeuner. Ce n’est pas mon cas : j’ai faim. Entre chaque duel de chefs, un écran diffuse des quiz autour de la gastronomie. Et cela n’arrange rien : j’ai très faim.

Aux fourneaux, ça s’active et les premiers favoris de la compétition semblent déjà se dessiner. En tête : Ludvig Salovuo (Suède), avec ses spaghettis à la piémontaise, et Carolina Diaz (États-Unis) avec ses mezze maniche au thon cru et sauce au poivron rouge. À ce moment précis, on songe à mettre un billet sur une place en finale pour l’Américaine, cheffe du restaurant Terzo Piano à Chicago.

11 h 30 | C’est au tour de la France d’entrer en piste et tout repose désormais sur les épaules de Thomas Asti, jeune chef au Café Terroir, à Lyon. Face au chef chinois Toby Wang, passionné de cuisine française et italienne et finaliste de divers concours de cuisine internationaux, le Français joue son va-tout avec un plat de spaghettis aux trois courgettes. “Un choix osé pour séduire le jury”, dira l’un des jurés.

12 heures | Finalement, c’est son adversaire Toby Wang qui sera retenu de justesse, grâce à ses spaghettis accompagnés de langoustine et d’un consommé de tomates cerises. Malgré des spaghettis “qui manquent d’un poil de cuisson”, dira le juré Lorenzo Cogo, c’est lui qui décroche son billet pour la finale. Lot de consolation : un tirage au sort m’offre la chance d’aller goûter au plat de Thomas Asti.

12 h 30 | Britanny Wright, membre du jury et photographe culinaire américaine, lance sa masterclass. Elle évoque son parcours, son travail et son attachement à la cuisine et à la gastronomie.

14 heures | Les épreuves continuent. Cet après-midi, il reste quatre matches qui opposeront l’Allemagne au Japon, la Roumanie au Canada, les Émirats arabes unis à la Pologne et la Turquie à l’Italie. Coup de cœur pour Lucia De Prai, cheffe au restaurant étoilé génois The Cook, mais également pour son homologue polonais Pawel Galecki.

16 heures | On rencontre enfin Thomas Asti, le chef qui représente la France. L’occasion d’évoquer son parcours personnel et professionnel, mais aussi ses passages dans le restaurant italien de son père, lui-même chef, chez Yannick Alléno ou chez Jean-François Têtedoie. On en profite pour lui demander quelques précisions sur le plat qu’il a proposé au jury.

“J’ai choisi de rendre hommage à la courgette. J’ai préparé une purée de courgette verte, un peu comme un pesto. J’ai préparé une brunoise de courgettes vertes et jaunes, mais également des courgettes violon crues et cuites, mélangées par la suite à des coques fraîches, dit-il. Et je me suis focalisé sur deux types de pâtes : des spaghettis et des conchiglie rigate.”

20 heures | La journée se termine à la Fondation Prada pour une réception.

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Jour 2

9 heures | Il ne reste qu’une place à pourvoir pour les phases finales. On attend de savoir si le chef français Thomas Asti sera repêché par le jury. Après un petit moment de suspense, la sentence arrive… et la désillusion avec elle. C’est finalement le Grec Stamatios Misomikes, chef du restaurant Noble sur l’île grecque de Rhodes, qui sera sélectionné pour la phase finale.

10 heures | À défaut d’avoir pu se qualifier pour les phases finales, Sabrina Fenzl, la cheffe en charge de représenter l’Allemagne, remporte le prix du public… juste devant ses homologues chinois et autrichien, Toby Wang et Sören Herzig. Elle est récompensée pour ses spaghettis et saltimbocca de lotte confite.

12 heures | Les noms des finalistes tombent au compte-gouttes : Benjamin Vikse Roth (Norvège), Toby Wang (Chine), Pawel Galecki (Pologne), Lucia De Prai (Italie) et enfin Carolina Diaz (États-Unis). L’Américaine se qualifie grâce à une recette de spaghettis relativement sophistiquée : chicorée, tomates, anchois, sauce aux pois chiches, ail et oignon.

Si le jury semble assez partagé, lui reprochant tantôt un plat trop “facile”, tantôt un plat “digne des meilleures spécialités siciliennes”, elle remporte finalement la manche assez facilement (4 votes contre 1). Niveau pronostics… tout se passe comme prévu.

15 heures | Le jury a tranché. La finale opposera le Chinois Toby Wang à Carolina Diaz, la cheffe américaine, dans une épreuve à la fois très simple et très périlleuse. Les deux candidats devront revisiter à leur manière l’un des plus grands classiques de la cuisine italienne : les spaghettis à la tomate.

18 heures | C’est l’heure de la grande finale. Ils ont 40 secondes pour faire leur choix dans les étals et cageots de légumes. Après ça, ils auront une heure pour travailler leur recette, et pas une seconde de plus.

19 heures | Les deux chefs s’activent au-dessus de leurs plans de travail. Pour le moment, on ne sait encore rien de leurs recettes respectives, ni de leurs stratégies. En aparté, le chef Davide Oldani, juré invité pour l’épreuve finale, explique ce qui sera déterminant à ses yeux : la manière dont la tomate sera travaillée et sublimée.

“On est en fin de saison de la tomate, elles ne sont pas aussi bonnes qu’en plein été. Tout le challenge sera de savoir lui faire honneur.” Quelques dizaines de mètres derrière lui, on aperçoit justement Carolina Diaz se saisir de citron et de différentes épices. Après une heure d’épreuve, les assiettes sont remises au jury.

21 heures | Après une longue délibération, les jurés sont de retour… et offrent le titre à Carolina Diaz. En sept éditions, c’est la première fois qu’une cheffe est récompensée. C’est une recette assez simple qui lui a permis de se démarquer. Elle a utilisé trois variétés différentes de tomates cerises et n’a laissé de côté aucun élément de ces dernières. Les pépins, la peau et la tige ont été travaillés et incorporées à la sauce finale.

22 heures | Juste avant de partir, on croise Thomas Asti, le chef français. On en profite pour lui demander ce qu’aurait été sa recette s’il avait pu accéder à la finale.

“J’aurais fait dégorger mes tomates au sel et j’aurais fait cuire mes pâtes dans une eau de tomate. J’aurais travaillé avec une sauce tomate assez classique, avec un bon ensemble aromatique. Et j’aurais peut-être bricolé un petit granité de tomates glacées à côté.”