Entre complicité et souvenirs d’enfance, Grandmas Project s’invite dans la cuisine de nos grands-mères

Entre complicité et souvenirs d’enfance, Grandmas Project s’invite dans la cuisine de nos grands-mères

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© Grandmas Project

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Par Lenny Sorbé

Publié le

Parce que personne ne cuisine mieux que nos grands-mères, la web-série collaborative Grandmas Project nous fait porter un autre regard sur les recettes de nos aïeules.

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Quand on pense aux astuces ou recettes “de grands-mères”, on visualise tout de suite un savoir-faire, quelque chose de généreux, traditionnel, presque sacré. Dans cet imaginaire, “mamie” est celle qui se hâte en cuisine dès qu’elle a le malheur d’apprendre que l’on a “un petit creux”, celle qui ne nous laissera jamais quitter son foyer sans que l’on ait avalé notre dose de bonne bouffe faite avec amour. Sa cuisine est un refuge de saveurs et de parfums tous plus ou moins liés à notre enfance, parfois même à la sienne.

Jonas Parienté ne dira sûrement pas le contraire. Pour ce réalisateur d’ascendance yiddish et égyptienne, la cuisine de ses aïeules représente tout ce qui le rattache à ses lointaines origines. Il a donc lancé Grandmas Project, une web-série collaborative qui invite les réalisateurs du monde entier à faire un film sur la transmission d’une recette, de la grand-mère aux petits-enfants. Nous avons évoqué avec lui ce projet qui renoue les liens intergénérationnels.

Club Sandwich | Qu’est-ce qui t’a motivé à lancer Grandmas Project ?

Jonas Parienté | En 2005, pendant que je faisais mes études en sociologie, je voulais faire un documentaire. Je n’en avais jamais fait donc pour me faire la main, j’avais commencé à faire un film sur mes deux grands-mères. C’était le premier sujet que j’avais envie de filmer. L’une était juive égyptienne, l’autre était juive polonaise. Je voulais que le film évoque la relation que j’entretenais avec elles et à travers ça, je voulais aussi explorer mon héritage culturel, sachant que je n’avais jamais eu l’occasion d’aller ni en Égypte, ni en Pologne. Dès que j’ai commencé à filmer, je me suis rendu compte que la cuisine jouait un rôle central dans ce qu’elles me transmettaient de mon identité égyptienne et polonaise.

Malheureusement, j’ai dû abandonner le projet pour aller vivre à New York et pendant le temps que j’ai habité là-bas, ma grand-mère polonaise est décédée. Je me disais alors que le projet était avorté. Puis en 2013, j’ai repensé à ce documentaire et je me suis dit que je pourrais proposer à d’autres personnes de filmer à leur tour leurs grand-mères. Et peut-être qu’en mettant toutes nos histoires bout à bout sur une même plateforme, ça permettrait de raconter notre héritage à tous.

En quoi la cuisine t’a semblé être le lieu idoine pour renouer le dialogue intergénérationnel ?

C’était naturel. J’ai pourtant filmé mes grands-mères dans différentes circonstances : en train de faire les courses, en train de s’habiller, en train de faire des interviews… Mais à l’arrivée, l’endroit où elles passaient le plus de temps, c’était la cuisine. C’était l’endroit le plus approprié, la seule option évidente.

Quand on regarde les vidéos en ligne, on sent qu’au-delà de la cuisine, c’est le rapport à l’Histoire qui t’intéresse…

Quand j’ai commencé à filmer mes grands-mères, je me suis rendu compte qu’en leur demandant de m’apprendre à faire telle recette, on en venait à parler des origines de la recette et donc de mes propres origines. C’est fascinant de voir que tu peux en apprendre plus sur l’histoire de ta famille en partant d’une recette. Certains se limitent à écrire des livres de cuisine, moi j’avais envie d’axer les films sur le fait que la cuisine ouvre la porte vers une histoire et de jouer cette carte à fond.

Le site se présente sous la forme d’une plateforme collaborative. Est-ce que ça relève plus d’une curiosité de ta part vis-à-vis des histoires que les gens ont à raconter, ou est-ce une manière d’inciter les autres à se rapprocher de leur grand-mère ?

Je pense que c’est un peu des deux. Mais spontanément, je dirais quand même que c’est plus une affaire de curiosité. Au début, je voulais filmer moi-même les grands-mères de célébrités pour la télévision. Mais j’avais peur que les films finissent par se ressembler. Ce qui me touche dans le fait de laisser carte blanche aux réalisateurs, c’est qu’il y a chaque fois ce côté spontané et intime, mais qu’à côté de ça, chacun peut approcher le sujet à sa manière. Certains y mettent beaucoup d’humour, d’autres le font avec plus de mélancolie et d’une certaine manière, c’est ce que je voulais au fond.

Quels ont été les retours, aussi bien ceux des grands-mères et des réalisateurs que du public ?

Je sais que les grands-mères et les réalisateurs vivent quelque chose d’unique, ils viennent souvent me remercier d’avoir pu passer un moment qui n’aurait pas forcément eu lieu autrement. Le tournage dure généralement un jour ou deux, pendant lesquels ils sont seuls avec leurs grands-mères, c’est assez différent des réunions de famille habituelles. C’est un moment intime, marquant, où ils peuvent se dire des choses plus profondes. Quant au public, les échos sont également très positifs. On vient d’ailleurs d’ajouter sur le site une nouvelle rubrique texte et photo qui permet à ceux qui ne sont pas réalisateurs de contribuer à la plateforme.

Selon toi, qu’est-ce qui fait de la nourriture un élément-clé pour appréhender une culture ?

C’est une expérience que tout le monde vit. Dans mon cas précis, je n’ai jamais mis les pieds en Pologne, je ne parle pas la langue, mais j’ai beaucoup mangé de spécialités du pays. C’est le seul élément de la culture polonaise qui a pu arriver jusqu’à moi. Un de mes cinq sens – le goût – est totalement habitué à cet aspect-là de la culture yiddish. Je l’ai intégré, au sens propre comme au sens figuré, et je vais potentiellement pouvoir le transmettre à mon tour. Ça crée un lien affectif.

Ce projet t’a-t-il donné envie d’aller plus loin dans la découverte de ton héritage gastronomique, en te rendant en Égypte, par exemple ?

Pas spécialement. En revanche, ma grand-mère vient régulièrement voir mes enfants et cuisine souvent pour eux. Du coup, on lui demande de plus en plus de nous apprendre d’autres recettes, non plus chez elle avec les caméras, mais chez nous, de manière plus ludique. Pendant un moment, je pensais qu’il n’y avait que dans sa cuisine qu’elle pouvait me transmettre toutes ces choses. C’est drôle de voir que ça a fini par se déplacer dans ma cuisine.

Mais en général, chaque personne te dira toujours que c’est sa grand-mère qui a les meilleurs recettes. La molokheya que ma grand-mère a préparé dans le film, je n’ai pas spécialement envie de la comparer avec d’autres. Certaines personnes ont peut-être cette curiosité, mais moi non.

Est-ce que tu envisages de transmettre à ton tour cet héritage ?

Complètement. À vrai dire, c’est même le fait de devenir père qui m’a poussé à concrétiser ce projet. La notion d’héritage, ce n’est pas seulement “recevoir”, c’est quelque chose d’actif. Dans la vidéo, ma grand-mère explique bien qu’en Égypte elle faisait de la molokheya avec des herbes fraîches. Ici, elle s’adapte. Moi-même je vais probablement m’approprier la recette, essayer de la réaliser avec d’autres viandes, et mes enfants feront de même. Mourir avec la recette, ce n’est pas le but.