“Il y a de la fierté dans le fait main” : Benjamin Carle nous parle de Sandwich, son docu sur sa quête du DIY

“Il y a de la fierté dans le fait main” : Benjamin Carle nous parle de Sandwich, son docu sur sa quête du DIY

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Par Pharrell Arot

Publié le

Benjamin Carle s’est lancé dans l’aventure pour répondre à une bonne question : est-ce qu’on sait encore faire quelque chose de nos dix doigts ?

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Benjamin aime les défis. C’est déjà lui, il y a quelques années, qui a signé le documentaire Made in France, où il passait une année en consommant 100 % français. Ce coup-ci, c’est en se questionnant sur le savoir-faire et le retour au do it yourself que Benjamin a conçu Sandwich. Dans ce nouveau documentaire, avec en trame de fond les questions sur notre capacité aujourd’hui à créer quelque chose avec nos mains, Benjamin prépare un pan-bagnat, ce sandwich iconique du Sud, en produisant lui-même tous les ingrédients, de la farine du pain à l’huile d’olive en passant par le thon. Croisé à quelques jours de la diffusion, Benjamin nous en dit plus sur son aventure.

Club Sandwich | Salut Benjamin, comment t’es-tu lancé dans l’aventure Sandwich ?

Benjamin Carle | À la base, Canal+ avait acheté le format d’un youtubeur américain qui s’appelle How To Make Everything. L’idée, c’était de partir de là pour continuer les documentaires “expérience” comme l’était Made in France, que j’avais réalisé il y a 4 ans. Mais c’était assez restrictif dans l’approche et dans le sous-texte. D’un autre côté, moi j’étais très intéressé par la tendance au do it yourself, le rapport à la consommation qui change et le fait que de plus en plus de gens dans mon entourage se vantent plus volontiers de leur temps passé à tricoter, cuisiner, ou bricoler que de leur job.

Alors, j’ai gardé l’approche, l’idée de tout faire moi-même, mais pour en faire une enquête sociétale, presque anthropologique sur le DIY, le rapport à nos mains, le rapport au travail et à la fierté personnelle. Et parce que la cuisine est un des premiers hobbys des Français, et que le sandwich est un symbole à la fois de la consommation et de la perte des savoir-faire, on a décidé de faire un pan-bagnat. En partant de rien.

Quelle idée ! Pourquoi le pan-bagnat du coup ?

Il y a plusieurs raisons. La première est personnelle : je ne mange plus de viande. Ça ne regarde que moi, hein, je ne veux pas refaire ici le débat, voire le combat entre la culture culinaire française (que je trouve géniale), les arguments historiques plus ou moins vrais (“on a toujours mangé de la viande”), et les arguments écologiques, moraux, sociétaux pour continuer ou non à en manger… D’ailleurs, cette question sera peut-être le sujet d’un prochain documentaire qui parlera encore de bouffe et de ce qui est devenu acceptable, ou pas, moralement de manger… Mais bref, je ne voulais pas me faire un burger, quoi !

La deuxième raison, c’est que pour réussir ce défi, il me fallait une recette : parce que finalement, quelque chose entre deux tranches de pain, ça fait un sandwich… Je voulais un défi un peu plus compliqué, précis, et c’est là que j’ai découvert La Commune libre du pan bagnat, une association de défense de l’appellation pan-bagnat. Qui m’a donné la recette à suivre !

Tu crois vraiment qu’on peut tous se remettre à faire quelque chose de nos mains ?

Je ne sais pas si je le crois, en tout cas j’observe que dans notre société actuelle, qui fonctionne sur la consommation et sur une division du travail et une spécialisation des tâches très abouties, de plus en plus d’hommes et de femmes décident de faire des choses de leurs mains. Il y a plein d’arguments pour ça. Certains vont dire que c’est pour connaître l’origine des produits, d’autres pour le côté écologique, d’autres encore parce que ça permet de se vider la tête.

Mais derrière toutes ces raisons, il y en a deux qui marchent à tous les coups, et que l’on voit particulièrement dans la cuisine : la fierté et l’amour. Quand quelqu’un fait un gâteau ou un plat, à ramener ou parce qu’il ou elle invite à manger, il y a la fierté de proposer quelque chose d’unique en disant : “c’est moi qui l’ai fait”. Et l’amour, parce qu’on offre souvent quelque chose de fait main aux gens qu’on aime, et ce depuis le collier de pâtes pour la fête des mères. C’est de l’amour que de préparer pendant des heures un plat que l’on va finalement manger en quelques minutes : ça défie toute logique marchande !

Et d’ailleurs, pourquoi on ne sait plus rien faire ?

Au fil de mon enquête et de mes rencontres, je me suis rendu compte que personne n’a vraiment vu venir ce constat. Ça s’est fait de façon très insidieuse. Je pense qu’on a vu l’idée de ne rien faire manuellement comme un progrès. Et je pense aussi qu’il ne faut pas minimiser le rôle de la flemme là-dedans ! Pour rester dans la nourriture : non seulement on s’est dit que faire à manger, c’était long et pas forcément rentable, mais ensuite on s’est même dit que c’était pénible d’aller chercher à manger, du coup on se fait livrer des repas par des forçats à vélo payés à la tâche, et le seul truc qui nous reste à faire, c’est gueuler quand il manque la sauce ou une boisson…

Donc forcément, c’est logique que dans ce même temps on voie le DIY comme un truc cool. D’ailleurs, au moment de l’invention des préparations pour gâteaux qu’on trouve dans le commerce, les industriels avaient laissé un ou deux ingrédients à rajouter, selon le goût de la personne qui le “prépare”, pour qu’elle puisse toujours y mettre une touche “personnelle”. Preuve que même quand c’est pratique, il y a un rapport profond au fait d’avoir prise sur le produit.

Dans ton épopée, quelle a été l’étape la plus difficile ?

Clairement, la pêche au thon, car on sort du hobby, du petit atelier pour des personnes qui justement manquent de savoir-faire et de rapport au concret, pour entrer dans un vrai métier de tradition, à la fois physiquement et mentalement exigeant. Dans lequel l’objectif est très clair, mais aussi incertain. C’était à la fois beau et compliqué.

Mais de façon plus générale, je pense que le plus dur quand on veut faire quelque chose de ses mains, que ce soit un pan-bagnat ou autre, c’est de passer de la théorie à la pratique. On est très bon pour faire des to-do lists et des plans pour les rangements de son appart, choisir le patron de son gilet à tricoter, mais le moment où tu rentres dans le dur… Ce n’est pas évident. Pour mon champ de blé, j’étais parti sur 20 mètres carrés, je trouvais que ce n’était pas beaucoup, j’avais du mal à visualiser, mais au premier coup de bêche, j’ai pigé la galère… Et sans le défi, le documentaire, j’aurais peut-être abandonné à partir de là. Je me serais dit comme tout le monde, et comme d’habitude : “À quoi bon”.

Tu vas garder quoi de tout ce que tu as appris pendant la réalisation du docu ?

Je vais garder un peu d’expérience manuelle. Peut-être la possibilité de reprendre mon potager avec le printemps. Et savoir ce que ça fait de se frotter au concret… Mais il ne faut pas que je perde cette habitude et tous les bénéfices manuels de cette expérience. Parce que là, ça fait deux mois que j’ai prévu de fabriquer des étagères pour chez moi, et je n’ai toujours pas acheté le bois… Je devrais peut-être aller le couper pour me motiver à le faire, je ne sais pas.

Pour finir, tu nous redonnes la recette du pan-bagnat ?

La recette du pan-bagnat selon La Commune libre du pan bagnat est la suivante :
pain frotté à l’ail, tomates (coupées en quartiers et pas en rondelles), radis et/ou cébettes, petits poivrons verts, févettes et/ou cœurs d’artichauts, thon, anchois, olives, huile d’olive, sel, poivre, vinaigre.

À cela s’ajoute une règle : on peut enlever des ingrédients, mais on ne peut pas en rajouter. En fait c’est une salade niçoise dans du pain. Donc pas de mayonnaise, de pomme de terre, de poulet, de fromage, et surtout pas de salade verte.

Sandwich*
*Où comment j’ai fabriqué mon casse-croûte tout en m’interrogeant sur les capacités manuelles des Français et en tentant de retrouver un peu de fierté personnelle, dès mercredi 28 mars à 20 h 58 sur Canal+