L’incroyable dîner de la fine fleur des chefs de l’avant-garde autrichienne au festival Attable

L’incroyable dîner de la fine fleur des chefs de l’avant-garde autrichienne au festival Attable

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(© Club Sandwich)

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Par Pharrell Arot

Publié le

On s’incline devant le Collectif des jeunes Autrichiens pour une société progressiste (Young Austrian Collective for a progressive society).

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Il est 20 heures passées de quelques minutes quand j’arrive devant Le Bistrot du Potager de Gerland. L’endroit commence tout juste à se remplir, et les invités prennent place dans la salle très moderne et lumineuse du restaurant ouvert par Floriant Remont courant 2017. Pour le festival Attable, il a confié sa cuisine à la crème de l’avant-garde culinaire autrichienne, pour une démonstration de force et d’amour : un pop-up dîner au rythme maîtrisé et à l’ambiance de feu. Dès l’entrée du restaurant, le ton est donné, avec un autel regroupant les têtes des caprinés ayant servi à l’élaboration du menu, le tout surplombé d’un tablier tagué en lettres de sang d’un des slogans du soir : “Goat save the Queen!”

La cuisine est ouverte et on y voit les chefs s’affairer, avant le coup d’envoi. Aux platines, Zanshin, micro à la main, nous ambiance avec ses disques, tout en ponctuant son set d’annonces de plat, et de shout-out pleins d’esprits. Je suis installé à une grande tablée, les yeux tournés vers la cuisine, où le visage de Lukas Mraz, leader naturel de cette belle équipe, ressort sous la lumière des lampes chauffantes. Avec un service unique pour la soirée, on prend plaisir à sentir cette petite tension de vestiaire avant le coup d’envoi.

“Fair gras” et bukkake

Le menu, posé sur les tables, est énigmatique. On nous annonce au moins sept plats, avec des intitulés clin d’œil à l’Autriche ou provocateur. “A westwinds mindset”, “Something you don’t get in Vienna!”, “Schitznel not schnitzel”, des plats aux sous-titres mystérieux allant de “sweetbreads bukkake” au plus lisible “Fair gras au torchon”. Ce Fair gras, premier plat servi ce soir, est une recherche sur le foie gras végan. Pas comme une posture (le reste des plats fera honneur aux protéines animales), mais comme une façon de présenter l’aboutissement d’une recherche sur le produit. Ce Fair gras, justement, arrive accompagné d’une belle tartine grillée, de quoi s’ouvrir l’appétit, surtout avec la note de beurre salé de ce simili foie. Première bouteille de vin nat’, sur la ligne de départ, et seul plat du soir porté sur le végétal : trois petites assiettes à partager, composé des premières asperges de la saison, de pois mariés à la framboise et d’une feuille (de navet ?) travaillée comme une petite crêpe renfermant une mousse légère et parfaitement assaisonnée. L’appétit est ouvert.

Inside the beast

Les assiettes s’enchaînent, comme autant de démonstrations techniques et inventives autour des abats des chevreaux, comme un pont entre la cuisine autrichienne et la gastronomie lyonnaise, faisant souvent la part belle aux tripes et morceaux délaissés. Ici, on utilise tout l’animal, de son lait, pour un fromage de chèvre, à son foie, servi avec une huître sous une nage acide et délicieuse.

Les fameuses tripes sont servies dans une sauce citronnée sous un nid végétal de fleurs et d’herbes. On est à chaque bouchée emporté sur un flanc de montagne des Alpes autrichiennes, et les tripes se transforment en bonbon léger, un comble pour cette partie souvent travaillée avec des sauces lourdes pour balancer sa texture particulière. En cuisine, Konstantin Filippou, Lukas Nagl et Milena Broger se marrent en embrochant des cœurs ; nous arrivons au milieu du repas et la cadence s’accélère encore et toujours, au même rythme que le vin coule, en salle et en cuisine.

En pivot du menu, les pattes de l’animal, rôties et présentées avant de dresser les assiettes et les servir à la salle par Lukas Mraz, grand sourire aux lèvres. Plus le menu avance, plus la communion entre la salle, conquise, et la cuisine, laissant retomber la pression, est palpable.

Standing-ovation, schnaps et rhubarbe

Après ce plat de résistance, les assiettes continuent de défiler avec un strudel aux morilles et ris, à partager entre les convives de chaque table, comme une bouchée street food, avant de s’attaquer à un fromage et un dessert au lait de chèvre. Les invités se lèvent, les verres s’entrechoquent, et Felix Schellhorn et Philip Rachinger valsent de table en table, versant du schnaps dans des petits gobelets en céramique garnis de rhubarbe confite. On lève le coude, eux aussi, et les applaudissements finissent par tomber. Les remerciements au micro, un second puis un troisième petit gobelet, les mains se serrent, avant que les commensaux repartent de ce dîner autrichien, titubant mais l’esprit ouvert comme jamais, sur le futur de la cuisine, celle qui emprunte à la tradition pour bousculer les goûts et les classiques. Bravo, ce soir le collectif a gagné, et on n’a pas fait équipe qu’en cuisine.