Après l’épidémie, le blues et la grande galère des saisonniers

Après l’épidémie, le blues et la grande galère des saisonniers

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Par Konbini Food

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Alors que le secteur de la restauration redémarre doucement, les saisonniers s'inquiètent de ne pas être sollicités.

“Les jours de chômage sont bouffés” : sur la Côte d’Azur, des salariés du secteur touristique et de l’événementiel alternant habituellement mois de travail et indemnités chômage arrivent en fin de droits, tandis que la saison n’a toujours pas commencé en raison du coronavirus. Dans le rouge à la banque, obligé de déménager pour passer d’un T3 à un T2 avec sa fille de 17 ans, Thierry Le Gall est l’un de ces spécialistes du petit four sucré, auquel le pâtissier Lenôtre Côte d’Azur confie depuis 15 ans sa partie événementielle – mariages, concerts, événements sportifs.

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Cette année, au lieu de superviser en cuisine, il a manifesté mardi pour la première fois de sa vie avec une centaine de maîtres d’hôtel, cuisiniers et employés, dits “extras” de l’événementiel devant le Palais des festivals de Cannes pour exiger une solution face à une “année blanche, comme pour les intermittents du spectacle”. “L’événementiel, c’est mort et on ne sait pas quand ça va reprendre. On travaille pour le stade de Nice, le Grand Prix de F1 de Monaco, le Festival de Cannes, des opérations toutes annulées”, dit-il. “Je suis très mal, très à découvert. La saison aurait dû redémarrer en mars, c’est là qu’on fait le plein.”

“Notre travail est fait d’heures payées par l’assurance chômage et de travail réel : l’assurance chômage nous sert de sécurité… Sauf que cette sécurité est en train de s’envoler”, décrit Jean-Daniel Ortiz, maître d’hôtel, 60 ans. Sans heures de travail générées cette saison, les droits d’indemnisation diminuent eux aussi. M. Ortiz a écrit à tous les élus possibles pour qu’ils prennent en compte le cas spécifique des saisonniers et extras. Il a aussi fait une croix sur ses prochaines vacances en Martinique pour lesquelles il avait mis de côté un pécule : “Je préfère garder ça pour payer mes loyers.”

Déjà à court d’argent, Philippe Tissot, 32 ans, diplômé d’un lycée hôtelier grenoblois, s’est arrangé avec son propriétaire pour payer un loyer moins cher. “Mais il va falloir rembourser et dans les restaurants, vu que les couverts vont être divisés par deux, ils ne feront pas appel à des extras”, s’inquiète-t-il. Au-delà de l’événementiel, l’hébergement et la restauration concentrent plus d’un emploi salarié saisonnier sur deux dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le pic est surtout estival, selon l’étude Insee la plus récente, datant de 2016.

Au parc animalier aquatique Marineland d’Antibes, 150 saisonniers n’ont pas commencé et “pour l’été, il n’y a pas encore de visibilité sur une possible date de réouverture”, selon le directeur général Pascal Picot. Le parc fait vivre jusqu’à 500 saisonniers en juillet-août. Femmes de chambre, hommes de ménage : dans la communauté philippine de Nice, personne ne souhaite témoigner, mais l’angoisse monte chez les employés d’hôtel, sans travail, sans droit au chômage partiel et en fin de droits au chômage. “On est à zéro, madame, pour la première fois”, confie une salariée.

L’épidémie a bousculé tout le modèle économique d’un secteur hôtelier habitué à faire payer par l’assurance chômage les périodes non travaillées de ses salariés, au lieu de les annualiser. “Aujourd’hui, les employeurs calculent à la journée, voire à l’heure, pas à la saison. Ils appellent les gens au dernier moment et il suffit d’une petite baisse d’activité pour qu’ils décommandent… La personne est parfois déjà dans le bus pour venir”, décrit Ange Romiti, secrétaire de la CGT des hôtels-cafés-restaurants de Cannes.

Il plaide cependant pour des aides immédiates, notamment sur la mutuelle santé, pour éviter que les salariés précaires ne quittent la branche : “C’est un secteur qui a du mal à recruter. On va avoir un passage à vide, peut-être jusqu’en 2021 et on aura une perte de savoir-faire quand l’activité reviendra à la normale”. À Cap-d’Ail, Joseph Derognard est l’exception qui confirme la règle. Pisteur l’hiver, il a bénéficié du chômage partiel après la fermeture anticipée de la station Isola 2000. La plage municipale où il est secouriste a rouvert plus tôt avec le déconfinement : “On a gagné 13 jours de saison !”, dit-il, mais parmi ses collègues du ski, “il y en a beaucoup qui bossent dans les restaurants l’été et là, ça coince”.

Konbini avec AFP