Bienvenue dans l’intrigante “parcelle 52” où l’on teste les cépages du futur

Bienvenue dans l’intrigante “parcelle 52” où l’on teste les cépages du futur

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Par Konbini Food

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"En 2050, Bordeaux pourrait connaître un climat de Séville", alors il faut prendre les devants et s’adapter sans attendre.

À côté des traditionnels merlot et cabernet-sauvignon, poussent les portugais touriga nacional et tinto cão : à Bordeaux, une expérimentation de grande ampleur, commencée il y a dix ans, jauge le potentiel de cépages exotiques ou anciens face au changement climatique. Encore quelques jours et les cabernet-sauvignon, arinarnoa et marselan seront prêts à être vendangés sur cette parcelle d’un demi-hectare au sein des terres de l’Inrae, l’Institut national de la recherche agronomique.

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Ce laboratoire à ciel ouvert, face à l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV), est appelé la “parcelle 52”, pour ces 31 cépages rouges et 21 blancs piochés dans les vignobles français et du sud et sud-est de l’Europe, de l’assyrtiko grec de Santorin au mavrud bulgare. Depuis 2009, une poignée de chercheurs de l’Inrae, de Bordeaux Sciences Agro et de l’université de Bordeaux étudient à l’ISVV de Villenave-d’Ornon les potentiels agronomiques et œnologiques de cépages inconnus à Bordeaux ou oubliés. L’objectif ? Apporter des outils aux viticulteurs pour adapter leur vignoble au changement climatique.

“En 2050, Bordeaux pourrait connaître un climat de Séville […] Si on ne fait rien maintenant sur les cépages, on court un grand risque de perdre la typicité de nos vins”, pose Bernard Farges, président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), partenaire de l’expérience VitAdapt. Le réchauffement s’installe avec, comme “marqueurs”, des vendanges précoces et le décalage du cycle végétal qui donne des vins plus “alcooleux”, moins aromatiques : “Il y a 30 ans, les vins sortaient à 11° ou 11,5°, aujourd’hui, c’est 13,5° à 14°”, illustre Agnès Destrac-Irvine, ingénieure d’études à l’Inrae et coresponsable de VitAdapt.

“Avec le changement climatique, on obtient des raisins qui mûrissent trop tôt dans l’été. Gorgés de sucres, ils sont moins acides, c’est moins de fraîcheur, moins d’équilibre et un potentiel de garde altéré”, souligne l’ingénieure agronome, dont l’expérimentation a fait des émules au Royaume-Uni avec un dispositif nommé BritAdapt. Dans le Bordelais, le merlot, cépage majoritaire, pâtit de sa nature précoce au point d’être “maintenant sorti de sa fenêtre optimale de qualité” par endroits, estime Mme Destrac-Irvine. Les scientifiques recherchent donc des variétés qui arrivent à maturité le plus tard possible.

Dix ans et “beaucoup d’analyses” plus tard, le vignoble bordelais vient d’obtenir le feu vert pour tester – sur une autre décennie – des “cépages d’intérêt à fin d’adaptation” dans ses cahiers des charges AOC, après les languedoc, corbières et saint-mont. Avant les grands crus classés, l’expérience commence par les appellations bordeaux et bordeaux-supérieur. Depuis cette année, elles peuvent intégrer à petite dose six nouvelles variétés, dont les ibériques touriga nacional et alvarinho, sélectionnées à partir des études sur la “parcelle 52”. Et d’autres régions, comme la Champagne, s’intéressent à cette possibilité ouverte en 2018 par l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao).

Cycle végétal, datation des vendanges, alcool, sucre, acides, rendement… toutes ces données ont été méticuleusement recensées par les scientifiques chaque semaine, pour offrir aux viticulteurs une “boîte à outils” avec un éclairage sur leur “potentiel œnologique”. Depuis 2015, 21 “cépages d’intérêt” ont été vinifiés en microcuvée, puis évalués par des dégustateurs experts pour identifier des vins aux “critères de goût, de saveur, d’équilibre” proches des traditionnels bordelais cabernet-sauvignon et merlot.

Quelques millésimes plus tard, le casting donne la part belle à certains cépages portugais, “prometteurs et bien notés”, comme le touriga nacional : “Il arrive tardivement à maturité, peut être récolté plus tard et offre des typicités intéressantes”, constate Cécile Thibon, ingénieure Inrae. Et si lui est plutôt du genre précoce, le touriga franca apparaît comme un “tout petit producteur de sucres qui pourrait aider les viticulteurs à faire baisser le degré des vins en assemblage”, appuie Mme Destrac-Irvine. Dans un autre registre, le vinhao, le plus vif en couleur, pourrait corriger des pertes de coloration dues aux chaleurs intenses. Prochaine étape ? Un projet de “science participative” avec les viticulteurs qui expérimentent ces cépages, “c’est tout un travail collectif”.

Konbini avec AFP