Le sexisme n’épargne pas (non plus) le monde du vin nature

Le sexisme n’épargne pas (non plus) le monde du vin nature

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(© Unsplash/Montage Konbini Food)

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Par Louise Leboyer

Publié le

Souvent considéré comme plus militant et vertueux, le milieu du vin nature échappe pourtant à la cause féministe.

Si le milieu du vin est souvent considéré comme sexiste, l’univers du vin nature n’échappe pas, lui non plus, à cette règle. C’est ce qui a poussé Isabelle Perraud, productrice de vin en biodynamie dans le Rhône et régulièrement témoin de certaines pratiques, à dénoncer l’impact du sexisme dans ce monde, pourtant souvent présenté comme plus vertueux et plus militant.

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Motivée par la libération générale de la parole des femmes face aux violences sexistes et sexuelles, Isabelle Perraud a tenu, à son tour, à lever un tabou sur des pratiques passées inaperçues sur son blog. Pour elle, ce sont certaines étiquettes qui posent problème et en particulier dans le vin nature. Une spécificité surprenante que la vigneronne expliquait au magazine Le Zéphyr.

“À l’opposé des étiquettes classiques des vins conventionnels ou bios, les vignerons qui proposent du vin nature, en principe, ont tendance à innover dans le dessin, et proposent quelque chose qui se veut rigolo. Mais certains véhiculent des messages rétrogrades, ringards et dangereux. Ils pensent peut-être qu’il faut en passer par là pour vendre, faire le buzz… Je ne sais pas.”

Du sexisme jusque sur les étiquettes

La créativité des étiquettes de vin nature – souvent louées pour leur esthétisme – mène ainsi parfois à des messages sexistes et/ou vulgaires. Une paire de fesses féminines rougie par la fessée donnée par un homme, accompagnée du message “J’aime quand ça claque”, des dessins de femmes nues ou une bouteille vendue comme un “GHB pour pécho” (retirée de la vente depuis)… Le commerce du vin oscille parfois entre humour graveleux et culture du viol.

L’étiquette “GHB pour pécho” retirée depuis. (© Marc Soyard)

Une pratique que ne supporte plus la vigneronne Isabelle Perraud qui tient à alerter sur ces étiquettes qui, sous couvert d’humour, “peuvent être dangereuses dans le message qu’elles véhiculent”. Son message et son engagement ont vocation à faire réagir le milieu du vin, trop souvent impassible face à ces choix marketing, confie-t-elle au Zéphyr.

“Certaines étiquettes pourraient faire l’objet de poursuites en justice, les vignerons ne se rendent pas compte… Et personne ne fait aucune remarque, rien, à propos de l’image, de l’illustrateur à l’imprimeur. Silence radio. Cela ne choque pas grand monde, c’est effrayant.”

Une prise de position face à un “sexisme imprégné” qu’Isabelle Perraud affirmera jusque sur les étiquettes de ses propres bouteilles. Après un énième ras-le-bol, la Rhodanienne a lancé un appel pour trouver l’illustrateur·ice de sa prochaine étiquette.

L’objectif : réaliser une étiquette loin du vulgaire, “où la femme, juste un instant, prendra le pouvoir”. Elle sera “militante, pleine de force, de mot et de courage (celui qui nous manque souvent pour dénoncer ces choses)”. Une partie de l’argent récolté pour cette cuvée sera reversée à des associations qui luttent contre les violences faites aux femmes.

Le vin, une “affaire d’hommes”

Soutenue dans sa démarche par son mari et associé, elle a conscience que son combat ne fera pas l’unanimité et qu’elle peut perdre une partie de sa clientèle. Mais elle ne se laisse pas intimider : “Je suis consciente que mes positions ne sont pas consensuelles. Mais ce qui m’importe aujourd’hui, c’est qu’on respecte les femmes.” Une lutte loin d’unir le monde du vin, et pour cause, il fait partie de ces milieux encore marqués par un héritage très masculin.

Avec l’association Women Do Wine, lancée en 2017, les professionnelles et passionnées du vin tentent d’améliorer la visibilité des femmes dans ce milieu. Un réseau pour faciliter l’échange et l’entraide entre femmes du vin afin de corriger leur représentativité et libérer la parole dans un milieu notamment marqué par l’affaire Marc Sibard, un caviste parisien condamné pour harcèlement sexuel, moral et agression sexuelle.

Et si les femmes commencent à trouver leur place dans le milieu vitivinicole, elles restent aux abonnés absents dans les postes à responsabilités, qui résistent à l’abolition du plafond de verre. Il a fallu attendre 2018 pour que Miren de Lorgeril prenne la présidence du Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc, et devienne ainsi la première femme à la tête d’une interprofession viticole. Une situation que ne manque pas de dénoncer Isabelle Perraud.

“Nous sommes souvent considérées comme des ‘femmes de’ dans le monde du vin, le statut de ‘conjointe collaboratrice’ a été créé. Nous ne sommes donc ‘que’ conjointes ? Et encore, il y a peu, ce statut n’existait même pas, et les femmes n’avaient aucun statut. Moi, pendant longtemps, je n’en avais pas, et je ne trouvais même pas ça anormal…”

Une prise de conscience et une lutte collective qui semblent porter leurs fruits au vu de l’évolution des chiffres et du succès d’un mouvement comme Women Do Wine. Huit des vingt personnalités du vin ayant marqué l’année 2019 selon Vitisphère étaient des femmes. Contre trois en 2016. Le milieu vitivinicole continue donc doucement sa progression vers un environnement plus sain et équitable.