Pourquoi les studios ont une obsession morbide pour les biopics musicaux ?

Pourquoi les studios ont une obsession morbide pour les biopics musicaux ?

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(© Paramount Picutres / 20th Century Studios / Disney / Studiocanal)

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Par Leonard Desbrieres

Publié le

Plongée en cinq films et quelques questions dans un genre à part, capable du meilleur mais spécialiste du pire.

C’est quoi, ce délire avec les biopics musicaux ? Question un peu brutale mais cri du cœur cinéphile. David Bowie, Elvis, Whitney Houston, Bob Marley, même ce pauvre Ravel et maintenant Amy Winehouse : en à peine trois ans, ce sont des dizaines de films biographiques gênants, consacrés aux plus grandes stars de la musique, qui ont envahi les salles de cinéma, explorant tous les genres, toutes les époques, entre Paris, Londres, la Jamaïque et New York. L’effet de mode vire à l’obsession.

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Si cette veine est un classique du septième art et nous a offert de véritables chefs-d’œuvre, il semblerait que les studios aient perdu le contrôle depuis le triomphe en salle et aux Oscars de Bohemian Rhapsody, biopic consacré en 2018 au chanteur de Queen, Freddie Mercury. Tout le monde veut sa part du gâteau et dégaine son film événement, sa star torturée et sa B.O. vintage pour gratter sa statuette et surtout générer un maximum de bénéfices.

Car la recette est simple pour cette nouvelle génération de biopics produits à la chaîne, en partenariat avec les maisons de disques et les ayants droit, bien contents d’une nouvelle source de revenus : il faut jouer la carte de la nostalgie. Un ressort qui permet de rassembler une communauté de fans et d’attirer un large public sans avoir trop à se fouler. La preuve, la majorité des films récents sont des objets insipides, fabriqués en dehors de toute considération artistique et suscitent de nombreuses critiques négatives mais leurs scores au box-office demeurent impressionnants.

Un succès presque garanti qui pousse les studios et les plateformes à continuer leur chasse aux œufs puisqu’on annonce déjà d’autres très gros projets de biopics musicaux pour les années à venir. Un film de Grand Corps Malade sur Charles Aznavour, un film de Ridley Scott consacré aux Bee Gees, un film d’Antoine Fuqua sur Michael Jackson et même quatre films, un par membre du groupe, consacrés aux Beatles et réalisés par Sam Mendes. De l’inquiétude mais aussi une forme d’excitation, voilà ce qui suit chaque nouvelle annonce.

Car si l’état des lieux qu’on vient de dresser est peu flatteur, le biopic est sans doute l’une des formes cinématographiques les plus intéressantes à décortiquer artistiquement.

Le biopic polémique : Bohemian Rhapsody de Bryan Singer

Il y a un paradoxe douloureux à voir le film de Bryan Singer être cité en exemple par tous les studios en quête du nouveau succès. Oui, Bohemian Rhapsody a été un triomphe. Presque 5 millions de spectateurs en France, 180 millions aux États-Unis, quatre Oscars dont celui de Meilleur acteur pour Rami Malek et pas loin d’un milliard de dollars de recettes mondiales pour le biopic le plus rentable de l’Histoire. Les chiffres donnent le tournis mais dans les faits, le film concentre toutes les problématiques et toutes les dérives qu’on peut reprocher à un mauvais film biographique.

D’abord, et c’est le plus grave, un lissage des aspérités pour ne pas heurter le grand public et prendre la main au maximum de spectateurs. Pendant plus de deux heures, les addictions de Freddie Mercury sont planquées sous le tapis. Pire, son homosexualité va être rangée au placard, comme si le chanteur n’avait simplement pas trouvé la bonne. Quant au sida, une simple maladie qui a entaché la carrière du génie. Un traitement polémique qui pose une autre question, celle de l’implication de l’entourage. Les membres encore vivants de Queen étant producteurs du long-métrage, ils se sont permis une réécriture de l’histoire camouflant certaines faces sombres et modifiant certains aspects.

Un procédé refusé par Elton John, producteur de Rocketman, son propre biopic. La star de la pop britannique a tenu à montrer toutes les facettes de sa vie, sans s’épargner. Résultat : un film décoiffant, un cabaret trash bien loin de l’hagiographie de Bryan Singer. Une réussite qui doit aussi beaucoup à la performance burlesque de Taron Egerton qui, contrairement à Rami Malek, accepte le pas de côté avec l’original et ne cherche pas à tout prix un mimétisme qui tombe souvent dans le grotesque. On parle du dentier ? Et puisque, parfois, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, une pensée pour le 8 Mile de Curtis Hanson, film librement inspiré de la vie d’Eminem avec dans le rôle-titre… Eminem.

Le biopic d’auteur : I’m Not There de Todd Haynes

Avec Control, d’Anton Corbijn, sur la vie de Ian Kevin Curtis, chanteur légendaire du groupe Joy Division, I’m Not There est la proposition la plus artistique et la plus fascinante faite par un réalisateur de biopics. Peut-être une des moins accessibles aussi. Pour croquer la vie dense et foutraque de Bob Dylan, Todd Haynes pulvérise les codes de la biographie et imbrique plusieurs films dans le film. Mosaïque de courts-métrages représentant des scènes ou des facettes de la vie du chanteur, où ce dernier est incarné tour à tour par des acteurs comme Heath Ledger, Christian Bale, Richard Gere et même une actrice en la personne de Cate Blanchett, I’m Not There est une ballade poétique et mélancolique qui ressemble à s’y méprendre à un tube de Bob Dylan.

À la question : “Faut-il forcément choisir la biographie linéaire pour réaliser le biopic parfait ?”, Todd Haynes répond non. Comme Gus Van Sant deux ans avant lui, lorsqu’il réalise Last Days, son film consacré aux derniers jours de Kurt Cobain.

Le biopic classique : Walk the Line de James Mangold

L’année prochaine, c’est James Mangold qui nous offrira sa version de la vie de Bob Dylan. Une proposition qui sera certainement bien plus sage et reposera beaucoup sur l’interprétation de Timothée Chalamet mais qui donne aussi beaucoup d’espoir quand on connaît la maestria du réalisateur américain en matière de biopics. Avec Walk the Line, il a en effet réalisé un des films les plus aboutis du genre, un classique extrêmement classique mais qui fait mouche à chaque visionnage.

Pour retracer la vie et la carrière d’une légende américaine, le chanteur de country Johnny Cash, il a choisi Joaquin Phoenix, étincelant comme toujours. Il a surtout pris le parti de hisser une autre figure à la hauteur de la légende, une femme devenue le pendant de sa gloire : June Carter alias Reese Witherspoon. Autant à travers leur collaboration artistique que leur vie à deux, James Mangold sublime l’artiste mais gratte le vernis doré qui recouvrait l’homme. Il ne l’épargne jamais, c’est ce qui le rend humain et donc admirable. La preuve qu’on peut faire du bon avec de vieilles recettes.

Du biopic pur jus comme d’autres avant lui : Amadeus de Milos Forman ou Ray de Taylor Hackford.

Le biopic mélomane : Love & Mercy de Bill Pohlad (2015)

Ce n’est pas forcément le film le plus connu du genre mais Love & Mercy permet de rappeler une évidence. Un biopic musical se doit d’avoir des scènes chantées à la hauteur de l’artiste qu’il célèbre. Or, cette vérité a été bafouée dans absolument toutes les productions récentes, comme si la musique passait au second plan alors qu’elle est l’objet même de notre fascination pour ces grands artistes.

Le film de Bill Pohlad raconte, en mêlant deux périodes différentes, la vie de Brian Wilson, l’un des membres fondateurs des Beach Boys, interprété tour à tour par Paul Dano et John Cusack. La première partie, consacrée à la composition et l’arrangement de l’album Pet Sounds en 1966-1967, est une pure merveille qui nous plonge en immersion dans un studio d’enregistrement, au moment où la magie opère pour remettre l’acte de création au centre du jeu.

Le biopic wtf : Aline de Valérie Lemercier

Comment juger la proposition folle faite par Valérie Lemercier dans cette déclaration d’amour grotesque mais touchante à son idole Céline Dion ? Le film flirte constamment avec les frontières du nanar et, étrangement, ce n’est pas pour nous déplaire. Valérie Lemercier en fait des caisses, se démultiplie, incarne Céline à tous les âges, l’accent québécois est forcé, le kitsch s’affiche partout à l’écran, la gêne s’en mêle mais le film nous attrape parce qu’il est sincère et parce qu’en filigrane, c’est la réalisatrice et comédienne elle-même qui se raconte, nous confie sa solitude, ses désillusions et son mal-être.

Un drôle d’objet cinématographique.