On a dîné avec Garrett Oliver, pionnier de la bière craft made in USA

On a dîné avec Garrett Oliver, pionnier de la bière craft made in USA

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(© Club Sandwich)

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Par Pharrell Arot

Publié le

Le maître brasseur de Brooklyn Brewery aurait-il l'âme d'un vigneron naturel ?

Un peu avant 22 heures, un mercredi soir attablé chez Wildair dans le Lower East Side de Manhattan, Garrett Oliver ajuste son chic chapeau en feutre sur son crâne, lève les yeux de la carte et déclame : “on recommande des assiettes ?” Alors qu’on avait passé la porte du génial spot des brillants Jeremiah Stone et Fabián von Hauske – les auteurs de A Very Serious Cookbook – seulement pour boire un verre, nous voilà à déguster, déjà un brin saouls, un incroyable toast au bacon, ‘nduja et pickles d’ananas. Sourire malicieux aux lèvres, le maître brasseur n’est pas peu fier de son coup, tape dans le dos de Fabián venu le saluer, et repart de plus belle pour me raconter son histoire, celle d’un amoureux de la bière, dont les valeurs, toujours liées à sa connaissance et son expérience de brasseur, lui permettent aujourd’hui de s’exprimer sur tous les sujets qui lui tiennent à cœur ; et de parler de tout ce qui l’inspire et de tout ce qu’il défend.

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“bacon toast, pickled pineapple, ‘nduja” chez Wildair (© Club Sandwich)

Faire renaître la bière américaine

L’après-midi même, dans la “tap room” de Brooklyn Brewery – dont il est le maître brasseur depuis 1994 –, il nous retraçait son parcours, celui de la découverte de la bière européenne alors qu’il accompagnait là-bas des groupes de rock, et son retour au pays, avec dans un coin de la tête une nouvelle quête, celle de renouveler la bière américaine, cette bière de soif light et sans profondeur. 

D’abord brasseur à la maison, il devient vite un des pionniers de ce qui deviendra la craft beer, empruntant ses racines dans les bières anglaises ou belges, en insufflant une identité toute américaine. De son cheminement dans cette scène, avec ceux qui font New York – le monsieur est bon copain avec le leader de LCD Soundsystem, James Murphy –, Garrett rapporte de ses voyages pas seulement ce nouveau goût pour la bière mais les cartes pour déconstruire l’éducation culinaire américaine.

“De la fin des 90’s au milieu des 2000, la révolution évidente, c’était Internet, mais cette vitesse de développement a existé avant, et celle que j’ai vécue dès la fin des 70’s, c’était celle pour sortir de la “matrice” de l’éducation culinaire des Américains, bloquée par les industriels et un choix inexistant de produits, vers la réappropriation de la terre et la naissance du mouvement ‘Slow Food’, c’était aussi important et aussi révolutionnaire.”

De Kraft à Craft

Cette quête du produit, celle qui lui apprendra à se séparer des classiques avec lesquels il a grandi – légumes gris en boîte, viande ultra-transformée et tranches de faux fromages Kraft –, devient un parallèle évident avec son étude de la bière. D’abord comme un iconoclaste à fabriquer sa bière chez lui, à maître brasseur de Brooklyn Brewery, où chaque ingrédient devient un terrain d’exploration avec un éventail infini d’options. Ses bières, aujourd’hui, ont toutes des vies différentes, que ce soit les classiques de la brasserie à ses bébés plus accessibles comme la Bel Air Sour, fruitée et acidulée, les bières sorties des cuves de l’entrepôt de Williamsburg qu’on peut retrouver dans le commerce ont toutes un point commun ; leur invariabilité, malgré le temps et le passage des recettes de brassin en brassin. 

Ghost Bottles

Mais le vrai terrain de jeu de Garrett, c’est l’expérimentation, avec ses “ghost bottles”, littéralement “bouteilles fantômes”, petites séries aux histoires toutes différentes. Érudit, du palais et de l’histoire, il déroule cet après-midi en une grosse demi-douzaine de bouteilles ce que peut être la bière d’aujourd’hui, celle qui emprunte au vin – qui lui-même emprunte à la bière. Et c’est là qu’on découvre l’âme d’un Américain qui aurait pu être vigneron, voir même vigneron naturel, de notre côté de l’Atlantique. 

Une des “ghost bottle” (© Club Sandwich)

Bières vieillies en fûts de mezcal, pour infuser “le goût du locataire précédent”, emprunts aux techniques champenoises, ajout de lie de vin pour des brassins lents à faire vivre pour l’expérimentation, et même pirouette à l’industrie du vin américain, comme une boucle en forme de pied de nez avec son “mega purple”, additif ultra-colorant bien connu des vignerons industriels qu’il dilue dans un brassin pour jouer avec nos esprits, avec nos yeux, et en sortir une bière qu’on pourrait prendre pour un Lambrusco. 

Ces bouteilles fantômes empruntent autant au terroir réinventé de l’Amérique qu’à l’histoire de la bière rapportée de voyages aux racines belges ou anglaises, qu’à la nouvelle vague – à qui on donne une modernité de cœur – des vins orange aux tanins extraordinaires. 

Et de cette passion, à Garrett de conclure la dégustation par une petite adresse à ses amis vignerons ; “ils ne pourront jamais me concurrencer, je peux ajouter ce que je veux dans ma bière, je peux contrôler beaucoup plus de facteurs qu’eux, expérimenter dès la torréfaction du malt jusqu’à l’ajout de nouvelles saveurs après la fermentation”.

Tarte à la noisette

“Chocolate hazelnut tart” chez Wildair. (© Club Sandwich)

Chez Wildair, les assiettes salées, avec des beignets de calamars et leur mayo à l’encre pour terminer, passent la main à une tartelette aux noisettes et fleur de sel ultra-régressive et délicieuse, qu’on glisse l’œil déjà brillant avec un verre de vin blanc, sur une carte où, la nouvelle génération de vignerons naturels – dont les bouteilles des frères Mosses – a la part belle, logique conclusion de notre discussion. 

De retour à Brooklyn, on remonte Bedford de Williamsburg à Greenpoint, et du métro aux entrepôts historiques de Brooklyn Brewery, ce sont les néons de la marque, présents des bodegas aux bars, qui nous rappellent que la brasserie a fait le choix du territoire et qu’ici on l’aime, comme une équipe de base-ball ou de basket-ball local. Et si aujourd’hui la bière craft s’affiche en tête de gondole chez Whole Foods bien devant les Coors et autres Bud light, on peut remercier Garrett pour son activisme et son érudition.

(© Club Sandwich)

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

Interview réalisée dans le cadre d’un voyage de presse organisé par Brooklyn Brewery et l’agence Albine&Co.