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Entre potes ou collègues, la mozzarella (aussi) se refile sous le manteau

Entre potes ou collègues, la mozzarella (aussi) se refile sous le manteau

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© Getty Images

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Par Lucie Tournebize

Publié le

Enquête sur les go-fast de mozzarella et les réseaux d'entraide entre Italiens autour de la reine des fromages.

“Tiens-toi prête, demain, j’arrive avec 700 grammes de mozzarella di bufala. D’ordinaire, mon mec ne prend pas vraiment la peine de m’écrire sur WhatsApp pour m’informer qu’il achète du fromage. Il se passe un truc. À son travail, depuis quelques semaines, les Napolitains lui tournent autour. Voilà qu’il a été intégré au réseau. Quel réseau ? Celui qui se réunit sur un parking, chaque mercredi vers midi. Un groupe d’heureux élus, adeptes de la mozzarella.

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La scène se déroule sur une jolie place de ma ville, dans le nord de l’Italie, non loin du centre-ville. L’homme, que je serais tentée de baptiser d’un nom bien napolitain, du type Ciro ou Gennaro, descend de sa voiture. Il nous salue d’une poignée de main, répétant un prénom bien plus passe-partout, “Ciao, Giuseppe”. Déception. Il ouvre le coffre, laissant apercevoir deux énormes boîtes de polystyrène qui renferment la précieuse marchandise. Je tente de faire la conversation tandis que Giuseppe distribue les sacs.

Le coffre blindé de mozzarella

Il fait le trajet depuis l’arrière-pays napolitain une fois par semaine, raconte-t-il. À l’aube, avant de partir, il passe au caseificio, là où sont produites quotidiennement les mozzarelle. Car le boulot des producteurs commence tôt. Très tôt. À 6 heures du matin, on peut déjà passer acheter les premières boules de fromage, emballées dans leur jus. Un peu plus de six heures plus tard, elles sont là, devant moi, et bientôt dans mon assiette.

“Tu la mets pas au frigo, mi raccomando !”, s’exclame Giuseppe en nous saluant. Pas le temps de commettre l’acte sacrilège qui anéantirait les saveurs du délicat fromage. De retour à la maison, à peine le temps de préparer une salade que l’on se jette sur nos mozzarelle. Rien à faire, le goût est unique, inimitable, et surtout introuvable ici, dans le nord de l’Italie. Comme si la boule blanche était frappée d’une malédiction : dès qu’elle sort de sa région de production, qui s’étend de Naples au Molise en passant par les Pouilles, elle déprime, elle perd en goût, bref, elle est moins bonne.

Quiconque a un jour mordu dans une mozzarella à Naples, Caserte, Salerne ou Battipaglia sait de quoi je parle. Car dans la brève vie de ce fromage, chaque heure compte : “La mozzarella a 24 vertus. Elle en perd une toutes les heures”, dit un proverbe. La livraison devient alors une course contre la montre.

Le blues de la mozzarella

Face à ce problème, les terroni s’organisent. C’est comme ça qu’ils se surnomment entre eux, détournant une insulte raciste du siècle dernier qui désignait les émigrés venus du sud de l’Italie pour travailler dans le nord – les culs-terreux, pourrait-on traduire. Ça commence par un type qui ramène des mozzarelle pour les ami·e·s. Et le bouche-à-oreille commence. La solidarité entre terroni ne connaît pour frontière qu’une ligne Nord-Sud imaginaire et mouvante. Mon mec est sarde, c’est bon, ça suffit à ses collègues napolitains pour l’introduire dans le cercle des mozzarelle. “T’envoie un message à Giuseppe, tu dis que t’es un ami d’Emilio. Tu passes commande le lundi soir, le mercredi il te livre.”

Cette pratique est finalement plus répandue qu’on ne pourrait le croire. Dans un pays où à peu près n’importe qui est capable de parler pendant des heures du goût d’une aubergine ou d’une tranche de jambon, avoir son réseau en direct pour les produits les plus raffinés est monnaie courante. “Avant d’habiter à Naples, j’avais bien sûr mon pusher de mozzarella”, me raconte Floriana, connue sur les Internets pour avoir révélé aux Français la recette de la carbonara. “Tous les Italiens ont leurs fournisseurs, et pas que pour la mozzarella. Moi, je suis capable de faire 40 minutes de bagnole pour une bonne bufala.

Le business est même tellement porteur qu’une chaîne de magasins a ouvert sur le même concept que les go-fast. De Rome à Milan en passant par Padoue, La Contadina vend tous les jours des mozzarelle en direct du sud dans une soixantaine de points de vente. Les Italiens savent reconnaître une mozzarella d’un ersatz. Alors pour faire bella figura en servant la reine des fromages à ses amis, rien de tel que de montrer qu’on connaît toute la chaîne de production, de la bufflonne au vendeur. Un service que la mozzarella de supermarché, au goût au pire caoutchouteux, au mieux passable, ne pourra jamais vous offrir.