La folle histoire du resto qui a accueilli Matt Damon et Ridley Scott en Dordogne

La folle histoire du resto qui a accueilli Matt Damon et Ridley Scott en Dordogne

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Par Vincent Bégué

Publié le

On a discuté avec les deux restauratrices qui ont vécu ce moment unique, en marge du tournage de The Last Duel.

À Sarlat, dans le Périgord, le restaurant La Couleuvrine sert chaque jour des spécialités régionales, issues du terroir local de ce petit coin du Sud-Ouest. On y déguste du foie gras, du confit de canard, des pommes de terre sarladaises, des pieds de porc en gelée, et même parfois quelques plats aux influences asiatiques, chers à la cheffe du lieu, Marion Martel. Ici, les clients sont traditionnellement des gens du coin, parfois des touristes, ou des amateurs des plats réconfortants de cette institution culinaire de la région.

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Cette routine, bien qu’huilée et rodée depuis plusieurs années, s’est vue quelque peu bouleversée lorsque, à quelques kilomètres de là et il y a plusieurs longs mois, s’est installé le tournage du film The Last Duel. Un film au budget et au casting exceptionnel, réunissant Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer ou encore Ben Affleck, sous la direction de Ridley Scott. Car, le temps du tournage, le restaurant s’est mué, à plusieurs reprises, en cantine de tournage.

Avant et pendant le tournage du film, La Couleuvrine, tenue par la cheffe Marion Martel et sa sœur Stéphanie, a régulièrement été sollicité par la production du film afin de proposer des ravitaillements à moindre prix à une partie des équipes techniques du film. Durant plusieurs semaines, les deux sœurs avaient donc pris l’habitude d’avoir la régie au téléphone afin d’organiser et de proposer des formules plat-dessert à 13 euros pour certains des techniciens. Un nouveau fonctionnement, ponctuel, qui arrangeait tout le monde.

© La Couleuvrine

Un soir de semaine, en plein service, Stéphanie décroche le téléphone du restaurant. C’est encore le régisseur du film qui appelle, mais, cette fois, pour réserver une table pour dix personnes. “Ce soir-là, on était un peu limitées en personnel, confie Stéphanie Martel. On n’avait que deux serveurs d’astreinte”. Désireuse de continuer à rendre service à la production du film, elle décide, avec l’accord de sa sœur en cuisine, d’ouvrir une salle supplémentaire dans le restaurant. “Tu dois te douter de qui vient manger !”, lâche le régisseur, avant de raccrocher. À ces mots prononcés par le régisseur, Stéphanie imagine qu’il est probablement question d’une poignée de techniciens supplémentaires.

Il n’en est rien, en réalité, puisqu’il s’agissait de Matt Damon et Ridley Scott, accompagnés de, semble-t-il, Jodie Comer en personne. C’est lorsque une vingtaine de voitures sont arrivées, d’un coup, devant le restaurant, escortant celles des trois vedettes, qu’elle a compris qu’il ne s’agissait pas d’une blague. À la nuit tombée, les warnings et clignotants semblaient illuminer la place du village “comme un sapin de Noël”, se souvient-elle.

Matt Damon, premier arrivé

Le premier arrivé sur les lieux n’est autre que Matt Damon, en personne. Stéphanie reconnaît avoir eu un peu du mal à le reconnaître. Il faut dire que le look casquette-jogging est assez éloigné de l’image qu’elle avait de la star de Jason Bourne. Un peu déboussolée, elle demande à son serveur ce qu’elle est censée faire. Ce dernier lui répond : “Comme d’hab, Steph’, tu sers l’apéritif !”. Arrivé en avance, il resta vingt minutes dans la salle du bas à attendre le reste de sa table et refusa même d’entamer l’apéro.

© La Couleuvrine

Une fois tout le monde à table, Stéphanie se heurte à un problème de taille : les accents américains et anglais très prononcés de ses prestigieux clients. Elle qui d’habitude n’a aucun problème avec l’anglais s’est trouvée un peu décontenancée face à l’ampleur de la situation et au détail de leur commande. Rapidement, un Ridley Scott rassurant lui glisse à l’épaule : “C’est pas grave, envoie ce que tu veux, on s’en fout, on est contents”.

Tant mieux puisque, ce soir-là, elle confie que celle qu’elle pense être Jodie Comer s’est vue servir un cocktail qui n’était absolument pas celui qu’elle avait commandé. Ceci dit, ça ne semblait pas vraiment l’attrister. Les Anglais sont définitivement d’une politesse à toute épreuve ou, peut-être, aiment-ils simplement lever le coude. Côté pinard, du Pommerol arrive à table, mais en quantité plutôt raisonnable. C’est à Ridley Scott qu’est revenu le choix des boissons, précise Stéphanie Martel.

Deux bouteilles pour dix, un choix probablement éloigné des standards éthylométriques du Périgord. À table, Ridley Scott désirait de la truffe, il insista d’ailleurs “quatre ou cinq fois” pour en avoir. Il s’est donc vu servir de la truffe râpée sur son entrée – un velouté de champignons –, et sur son plat principal – un poisson accompagné de risotto. Matt Damon, lui, s’est contenté d’un burger, un plat on-ne-peut-plus américain. Un choix certes convenu mais solide et diablement efficace, à l’image de l’acteur.

“Tu crois qu’il a bientôt terminé ?”

Au milieu du repas, un invité de marque, le maire du village, n’a su résister à la tentation de venir saluer l’équipe du film, et notamment Ridley Scott avec qui il avait déjà fait connaissance, il y a quelques années, pour le tournage des Duellistes, tourné en Dordogne et dans cette même ville de Sarlat. La production, quant à elle, un poil sous tension, n’eut de cesse de questionner Stéphanie pour savoir si le casting allait bientôt pouvoir quitter les lieux :

“- Tu crois qu’il a bientôt terminé ?
– Mais ça va, laisse-le manger, il n’en est qu’à son entrée !”

Sur le moment, Stéphanie n’a pas voulu demander de photos avec les célébrités qu’elle accueillait. Ce n’est pas dans ses habitudes, elle ne l’a d’ailleurs jamais fait par le passé, même quand elle recevait des vedettes hexagonales à sa table. Toutefois, un de ses serveurs insista toute la soirée auprès d’elle pour qu’elle saute sur l’occasion. Stéphanie se laisse alors séduire par l’idée, se disant que ça pourrait plaire à ses enfants. Contrairement aux autres restaurants de la ville qui ont reçu l’équipe du film, La Couleuvrine n’a pas eu à signer d’accord de confidentialité. C’est même Matt Damon qui insista, ce soir-là, pour prendre des photos avec elle et ses serveurs.

© La Couleuvrine

Au départ, Stéphanie n’avait pas l’intention de publier la photo en ligne. Elle se dit elle-même très éloignée des réseaux sociaux. Le lendemain, au téléphone avec le régisseur, elle précise qu’elle n’a rien diffusé. Il la rassure : “Mais tu peux y aller, ils ont fait exprès, ils veulent faire savoir qu’ils sont à Sarlat”. Stéphanie y voit là un probable accord passé avec sa commune, qui expliquerait pourquoi la production a fait signer des accords de confidentialité partout, sauf chez elle et à la pizzeria du coin, La Romane. Peut-être une manière de remercier la ville de les accueillir.

Une fois libérée de ce poids, elle en profite alors pour diffuser la photo, “histoire de faire rigoler les habitués de La Couleuvrine”. Mais elle ne s’attendait pas aux réactions que la publication de cette photo allait déclencher. Car, après tout, pour elle, ils étaient simplement venus dîner.

Après cette drôle de soirée, quelques curieux ont fait le déplacement jusqu’au restaurant, comme un pèlerinage. Stéphanie s’en amuse et se rappelle : “Pour vous dire à quel point les gens sont fous, j’en ai même eu une qui a insisté pour prendre une photo avec moi sous prétexte que j’ai été photographiée aux côtés de Matt Damon. Pourtant je ne suis personne !, sourit-elle. Je leur ai répondu, en plaisantant : ‘Je veux bien prendre une photo avec vous mais vous ne la vendrez pas cher.’” Et ça, ce n’est pas la rencontre la plus absurde que Stéphanie a pu faire grâce – ou à cause – de cette photo.

Lieu de pèlerinage

Quelques jours après la publication du cliché, durant un service plutôt intense, elle reçoit un appel d’une personne se faisant passer pour quelqu’un de la production. Stéphanie n’est pas dupe, d’autant que la voix semblait imiter volontairement un accent américain plutôt grossier. Elle s’imagine alors des “gamins qui feraient une blague”. Occupée ailleurs, elle demande à son interlocuteur de reformuler sa demande une dernière fois, de manière intelligible, avant de lui raccrocher au nez.

Mouchés les gamins ! Enfin… Les gamins, pas vraiment, puisqu’il s’agissait en réalité de Cyril Hanouna, l’animateur télévisé, qui s’essayait à une blague, en se faisant passer pour l’agent de Matt Damon, lors de l’enregistrement de son émission Touche pas à mon poste !.

Les tribulations touristiques en France de Matt Damon ne s’arrêtent pas là. Un samedi soir, à la recherche d’une activité bien américaine et alors que le tournage se poursuivait en Bourgogne, il jeta son dévolu sur le bowling de Mâcon. Accompagné de son ami – et rival dans le film –, Adam Driver, les deux acolytes se sont laissé aller à une partie de bowling. Pas de privatisation ce soir-là, mais une piste réservée, au milieu des locaux. C’est donc sous les regards médusés des habitants du coin qu’ils s’employèrent à réaliser leurs meilleurs strikes.

Ce soir-là, la venue de Matt Damon a aussi eu un effet pour le moins surprenant. L’interdiction de revêtir un couvre-chef dans l’enceinte de l’établissement sauta dès lors qu’il passa sa soirée avec sa casquette vissée sur la tête. Pas simple de demander à Jason Bourne de retirer son chapeau.