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Comment le poulet frit a sauvé nos confinements

Comment le poulet frit a sauvé nos confinements

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© Mory Sacko/The Good Place

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Par Robin Panfili

Publié le

L’ultime remède à la mélancolie ?

En ces temps troublés, confinés et terriblement allongés, il est parfois difficile de trouver quelque chose à quoi se rattraper pour garder le moral. Il y a bien les rediffusions des films de la saga Harry Potter, ou le retour de Top Chef, mais il est une autre béquille que les Français ont su s’approprier pour affronter le marasme du quotidien : le poulet frit.

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À Paris, comme dans la plupart des grandes villes françaises, le poulet frit vit, depuis quelques mois et avec le début de la crise sanitaire, son âge d’or. Si son retour en grâce était déjà bien entamé avant l’arrivée de l’épidémie, son essor n’a cessé de croître depuis. Aux acteurs traditionnels du fried chicken, experts et référence en la matière, sont venus s’ajouter une multitude de nouveaux acteurs désireux de proposer au grand public, à leur tour, leur version et vision du poulet frit.

“L’idée était d’apporter un petit bout de Japon, dit Arthur Cohen, cofondateur de Onii-San, une table pensée comme une izakaya en plein Paris. Pour leur offre de livraison, le restaurant s’est lancé dans un sandwich hybride, piochant son inspiration dans deux plats iconiques au Japon : le egg sando (sandwich aux œufs) et le karaage sando (sandwich au poulet frit classique). Le fried chicken, c’est à la fois la facilité et le réconfort. C’est un plat que l’on mange tous, sous différentes formes, depuis notre enfance. Il nous ramène à une période où les choses étaient peut-être plus simples”.

Le sandwich de Onii San. (© Konbini Food)

Explosion de la bulle

À Paris, comme ailleurs, il n’est pas le seul à avoir eu cette idée. À côté des Cot Cot, des Hero, des PiouPiou ou des Gumbo Yaya déjà bien installés dans la friedchickenosphère, de nombreux autres chefs et restaurateurs se sont plongés dans l’aventure de manière plutôt inattendue. Outre des dark kitchens qui ont bien flairé le filon (Out Fry, Birdy Miam Miam, Holychick, 6AM…), des chefs de renom ont également suivi le mouvement, à l’image du (très réussi) poulet frit d’Hélène Darroze chez Joia, ou de celui (moins convaincant) de Denny Imbroisi chez Piuma.

Mory Sacko, jeune chef à la tête de sa propre table néo-étoilée MoSuke n’a pas hésité longtemps à inclure le poulet frit à sa carte de plats à emporter dès le début du deuxième confinement. “L’idée m’est venue assez naturellement. C’est simple, j’adore le poulet frit, c’est mon plat de street-food préféré. D’ailleurs, j’en servais déjà dans mon menu dégustation au restaurant, nous confie-t-il. Quand on a réfléchi à notre offre à emporter, MosuGo, c’était naturel de l’inclure à notre proposition. C’était adapté au contexte, les gens avaient besoin de ce genre de nourriture réconfortante, qui fait du bien, peut-être pas au corps, mais en tout cas à l’esprit. Et les gens ont suivi”.

Dans les cuisines de MosuGo. (© Mory Sacko/The Good Place)

Le succès du poulet frit en temps confinés, Street Bangkok l’a également observé. Après l’ouverture de leur nouvelle adresse “Fry and Beer”, spécialisée dans les déclinaisons de poulets frits et de currys, le restaurant a vu ses ventes de fried chicken de 20 % à 30 %. “On sait qu’une grande partie de la population raffole du poulet frit. En période de confinement, les gens peuvent parfois être un peu déprimés. Alors, un bon burger ou du poulet frit, ça remonte toujours le moral”, assure Norman Kolton, fondateur de ce petit empire.

Jeunes, adultes… et retraités

“On s’attendait à ce que ça fonctionne, mais on a rapidement été surpris par l’engouement, reconnaît Mory Sacko. Dès le début, au lancement de notre offre à emporter, on a été submergés par les commandes – près de 250 poulets frits vendus par jour. Ce qui m’a le plus surpris, à vrai dire, c’est le profil des gens qui commandaient. Je m’attendais à des jeunes comme moi, qui viennent entre potes, mais on a eu des familles… et même des retraités qui sont venus récupérer leur commande directement au restaurant”.

Mory Sacko et son poulet frit. (© Mory Sacko/The Good Place)

À Marseille, Le Bec du Coq servait déjà du poulet frit avant la crise sanitaire. Et c’était à chaque fois un succès immédiat lorsqu’il pointait son nez sur la carte du jour. Alors, il y a quelques jours, Guilhem et Victoria, le couple à la tête de cette cave à manger ouverte il y a seulement quelques mois, se sont décidés de le remettre à la carte du week-end. “On voulait changer un peu des tourtes qu’on proposait à la carte, et on voulait tester un autre plat qui supporterait bien le transport. Il s’avère que, sur ce point, le poulet frit fait partie des quelques plats qui marchent bien même après dix minutes de marche pour rentrer chez soi. Il faut juste le mettre dans une boîte aérée par des trous pour pas que la vapeur le fasse ramollir, dit Guilhem Malissen.

“C’est assez marrant parce qu’on a eu du monde, plus que ce qu’on pensait et des gens qu’on n’avait pas trop vus pendant les tourtes. Donc je pense que comme sur place, y’a un truc qui rend les gens addicts avec le poulet frit.”

Le poulet frit du Bec du Coq. (© Le Bec du Coq)

Le pouvoir du poulet frit

Si l’on peut désormais tous se mettre d’accord sur l’engouement réel autour du poulet frit de ces derniers mois, reste alors à trouver une explication rationnelle à un tel succès. Un début de réponse nous a été offert par Whoogy’s, un vidéaste culinaire français et ancien de la maison Konbini. “Le poulet frit est le remède i-dé-al pour les lendemains difficiles. Et, finalement, est-ce que le confinement ne ressemble pas à une gueule de bois infinie ?, confie-t-il. Je pense aussi que le poulet à une certaine valeur d’exotisme et de voyage pour les Français.”

“Ce n’est pas une recette traditionnelle de notre terroir et, malgré le fait que les gens essayent de consommer plus local, je pense que tout le monde meurt d’envie de changer d’air. Et quoi de mieux donc que la nourriture pour nous permettre de nous évader tout en restant enfermés chez nous ?”

“Je ne sais pas vraiment comment expliquer cet engouement, reconnaît le chef du Bec du Coq à Marseille. Quand on l’a mis à la carte, on se demandait si les gens n’allaient pas trouver incongru de trouver du poulet frit dans un bar à vin. Et, finalement, c’était tout l’inverse. Les soirs où l’on en mettait à la carte, les 2/3 des tables en prenaient, se souvient-il. Du coup, je me suis pas mal demandé pourquoi, et pour l’instant la seule piste que je vois c’est le mélange de croquant, de gras et de salé que l’on retrouve en proportion parfaite dans un bon poulet frit”.

Sur sa chaîne YouTube, Whoogy’s a récemment proposé une recette très pédagogique permettant à tout un chacun de reproduire, chez soi, un poulet frit frôlant la perfection. “J’ai le sentiment que les gens se sont davantage mis en cuisine pendant les confinements et se sont lancés dans des trucs techniques, dit-il. J’ai vu des gens qui cuisinaient, dans le meilleur des cas, un poulet rôti en 2019 se lancer sur des gyozas fait maison en 2020″.

“Mais la friture reste une cuisson difficile à maîtriser, car sans friteuse ou thermomètre, ça reste technique à réaliser. Sans parler de l’appréhension de faire de la friture en appartement par exemple. Donc, je pense qu’au moment de se dire que va-t-on prendre à emporter ce midi ou ce soir, on se dit : “Des carbos ?! Nooon ça, on peut se chauffer”. “Du poulet frit ??! Ooook !”, fin du débat.”

Curseur de la culpabilité

À ce franchissement d’obstacle et à la rupture de cette barrière psychologique s’est ajoutée une démystification de ce tout que peut charrier l’imaginaire du poulet frit. “Le poulet frit, c’est forcément un plaisir coupable, c’est une bombe calorique on ne va pas se mentir, explique Whoogys. Mais le confinement a déplacé le curseur de la culpabilité au niveau de la nourriture. Cela devient socialement acceptable de manger un burger de poulet frit un mardi midi. Car, je peux vous dire, par expérience, que manger un waffle chicken burger de chez Gumbo Yaya un midi dans le monde d’avant signifiait que vous étiez soit inconscient soit complètement fou.”

Le poulet frit de Street Bangkok. (© Konbini Food)

Maintenant que le poulet frit semble s’être enfin débarrassé de ces chaînes et du mépris qu’il a longtemps dû supporter, l’heure est au bilan. Chez les précurseurs du poulet frit à Paris, la ruée soudaine de chefs et restaurateurs – qui ont parfois pu mépriser ce type de nourriture – vers le poulet frit inspire un sentiment mitigé. “Le poulet frit revient à la mode chez les consommateurs, alors ça m’évoque évidemment de l’opportunisme”, lâche Norman Kolton de chez Street Bangkok.

“Que des gens totalement désintéressés de la street-food se soient mis au poulet frit par, entre guillemets, opportunisme, est un bon indicateur, nuance Mory Sacko qui, avant même d’en proposer dans son offre à emporter, travaillait déjà le poulet frit dans son menu dégustation. Cela montre que c’est une offre qui fonctionne, d’abord, et surtout que le plat devient populaire dans le bon sens du terme. C’est la petite revanche du poulet frit qui arrive à un moment où il a pu être quelque peu maltraité par les ayatollahs du bien-manger. Cet engouement permet de prouver qu’une friture peut être saine quand on n’en abuse pas, évidemment. Et qu’on peut manger du poulet frit sans être un terroriste du bien-manger”.