Mais depuis quand cuit-on des aliments dans une vessie ?

Mais depuis quand cuit-on des aliments dans une vessie ?

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Par Robin Panfili

Publié le

La demi-finale a fait découvrir à la France entière un mode de cuisson pour le moins étonnant. On vous raconte son histoire.

Lors de la demi-finale de cette onzième saison de Top Chef, chaque candidat imposait à ses camarades une recette avec des contraintes précises. Après le pied de porc et les pouces-pieds d’Adrien Cachot, c’est Mallory Gabsi qui a finalement repoussé les limites de l’originalité en exigeant la cuisson d’un turbot avec l’arrête… dans une vessie de porc. Au juste, d’où vient donc cette technique de cuisson peu ordinaire ?

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Relativement peu courante dans les cuisines françaises contemporaines, la cuisson en vessie demeure pourtant un grand classique de notre culture gastronomique. Adrien Cachot a dit l’avoir déjà utilisée par le passé (mais l’avoir totalement oubliée), tous les jurés la connaissaient, alors que David Gallienne, bien conscient de son existence, avouait ne l’avoir jamais pratiquée dans son restaurant étoilé.

Un héritage lointain

Aussi loin que les fins historiens de la gastronomie se souviennent, la cuisson en vessie serait née au Moyen-Âge avant d’être réinterprétée et popularisée par la cheffe auvergnate Françoise Fayolle, surnommée la mère Fillioux à la fin du XIXe siècle. Celle que l’on appelait aussi “l’impératrice des mères lyonnaises” — notamment après qu’elle a aidé à construire la renommée et la légende culinaire de la célèbre mère Brazier – est en effet à l’origine d’un virage gastronomique crucial de l’histoire de la cuisine française, s’appuyant sur des cartes courtes et des recettes longues, maîtrisées à la perfection : des potages veloutés aux truffes, des quenelles au gratin de beurre d’écrevisses, des fonds d’artichauts aux foies gras truffés… et la fameuse volaille en demi-deuil.

Françoise Fayolle préparant ses poulardes demi-deuil dans son restaurant du 73, rue Duquesne à Lyon. (© Wikimedia Commons)

Quelques décennies plus tard, c’est le chef et l’un des pères de la gastronomie française Paul Bocuse, lui-même disciple de la mère Brazier, qui se réapproprie la recette de cette volaille en demi-deuil, cuite dans une vessie de porc, en hommage à la cheffe et “reine des poulardes”, Françoise Fayolle. Cette recette, comme le rouget poché au pistou et le jambon cuit au foin, permettra à “Monsieur Paul” de décrocher une troisième étoile en 1965. La recette est (sur le papier) assez simple : glisser de fines tranches de truffe noire sous la peau de la volaille afin de l’habiller en noir, comme pour un deuil, puis enfiler la poularde dans une vessie de porc avec un fond de cognac, du jus de truffe et de l’estragon.

C’est précisément de cette recette que s’est inspiré Mallory Gabsi pour son épreuve en demi-finale. Lui a simplement choisi de remplacer la poularde entière par un turbot – il travaille dans un restaurant étoilé de poissons. Si les ingrédients changent, les difficultés restent toutefois identiques : maîtriser la cuisson de la viande ou du poisson sans pouvoir le voir, fermer le tout, ne pas percer la vessie et obtenir un aspect gonflé.

La poularde en vessie d’Éric Frechon. (© Bristol)

Aujourd’hui, l’héritage de la cuisson en vessie est encore bien vivant. S’il est rare de la retrouver à la carte de restaurants, certaines rares tables étoilées continuent d’en servir et de faire de cette recette unique leur spécialité. À L’Épicure de l’hôtel Bristol, par exemple, le chef triplement étoilé Éric Frechon continue de servir la poularde en vessie. Pas étonnant quand on sait l’admiration qu’il porte à “Monsieur Paul”.