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On a discuté avec la fratrie à la tête du “meilleur kebab de France”

On a discuté avec la fratrie à la tête du “meilleur kebab de France”

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© CHËF/Cyclope Prod

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Par Robin Panfili

Publié le

Une longue discussion sur la révolution du kebab en cours, sa seconde jeunesse et les préjugés qui lui collent toujours à la peau.

De manière générale, les Français aiment débattre sur la nourriture, de la cantine de quartier au restaurant étoilé. Selon cette logique dont la rationalité reste encore très discutable, chacun d’entre eux prétendra ainsi toujours connaître le meilleur kebab de telle ou telle ville. Depuis quelques jours, un classement permet d’y voir clair et de couper court aux discussions interminables. Le “meilleur kebab de France” vient d’être élu et il se trouve à Lyon.

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Alors, ça fait quoi d’être le meilleur kebab de France ? On est allés poser quelques questions aux grands gagnants, Redouane et Besma Allahoum, un frère et une sœur qui mûrissent le projet Chëf depuis quatre ans et s’inspirent de la cuisine de leur mère pâtissière.

Konbini food | Pourquoi (et comment) vous est venue l’idée d’ouvrir un kebab ?

Redouane | En tant qu’amateurs de street food, et surtout de kebabs, on s’est toujours dit que ce dernier était trop souvent sous-coté en France. Il y a quelques années, je suis allé à Berlin en week-end avec des potes également fans de kebabs et j’ai réalisé que là-bas, ce sandwich était quelque chose d’important, qualitatif, cool. Et que c’était surtout super bon. J’ai eu envie d’importer ce savoir-faire à Lyon.

© Chëf/Cyclope Prod

Vous proposez une nouvelle gamme de kebab, dite “à la berlinoise”, qui va à l’encontre du kebab traditionnel et de la Sainte Trinité “salade tomate oignons”. Pourquoi avoir pris ce chemin plutôt que celui du kebab traditionnel ?

Redouane | On ne s’oppose pas du tout au kebab plus “tradi”, au contraire. Son nom est d’ailleurs un hommage à tous les kebabistes de France. Notre volonté est de valoriser ce savoir-faire. C’est la raison pour laquelle nous proposons, en plus de notre kebap “Berliner” avec plein de légumes, un “Chëf Classic” avec juste du chou rouge en plus de l’indétrônable “salade, tomate, oignon”. Dans le plus pur respect des traditions. On s’est donc inspirés de ce qui se fait à Berlin, mais on l’a fait “à la française”.

“À partir du moment où l’on respecte les origines de ce plat, ce n’est pas mal de tenter de lui apporter quelque chose en plus, ou quelque chose de différent”

© Chëf/Cyclope Prod

Depuis quelques années, les kebabs dits “à la berlinoise” poussent partout. Beaucoup sont d’ailleurs montés par des jeunes et nouveaux acteurs, jusque-là extérieurs au monde de la restauration, ce qui pose la question de l’appropriation d’un mets populaire.  

Besma | Il n’y a qu’à regarder notre parcours scolaire pour constater que “le profil école de commerce” ne nous correspond pas vraiment… Nous avons lancé Chëf sans les études, ni l’étiquette qu’il faut pour qu’on nous ouvre les portes. Il est clair que ces dernières années, les kebabs à la berlinoise, bien marketés, ont commencé à fleurir en France. Et par la même occasion une sorte d’opportunisme, voire d’appropriation d’une culture traditionnelle et populaire.

Mais, pour nous, à partir du moment où l’on respecte les origines de ce plat, ce n’est pas mal de tenter de lui apporter quelque chose en plus, ou quelque chose de différent. La cuisine, et particulièrement la street food d’aujourd’hui, se nourrit de plats traditionnels, mais est en continuelle évolution. Et à la fin, ce qui est important c’est d’apporter du plaisir à celles et ceux qui viennent manger chez nous.

“On a pu constater, mais on s’y attendait un peu, que le kebab ne bénéficie pas du tout d’une bonne image auprès d’une certaine frange de la société”

© Chëf/Cyclope Prod

C’est quoi les contraintes, et les facilités, pour monter un kebab en 2020 ?

Redouane | Comme ma sœur le disait, nous n’avions pas le profil le plus facile pour financer notre projet. On a galéré pour obtenir un prêt, trouver un local, réaliser des travaux avec un petit budget… On a pu constater, mais on s’y attendait un peu, que le kebab ne bénéficie pas du tout d’une bonne image auprès d’une certaine élite et frange de la société. Il souffre encore d’énormes préjugés : “Il y en a déjà trop, on ouvre plus que ça en France…”

Ce n’est pas un long fleuve tranquille, donc ?

Besma | Pendant quatre ans, on a eu à surmonter vraiment pas mal de galères. Mais c’est aussi grâce à ça qu’on a pu proposer un projet aussi abouti à notre ouverture en septembre. Je dirais que l’anecdote qui nous a le plus surpris, c’est lorsqu’on nous a demandé si on souhaitait ouvrir un kebab pour blanchir de l’argent…

“L’anecdote qui nous a le plus surpris, c’est lorsqu’on nous a demandé si on souhaitait ouvrir un kebab pour blanchir de l’argent…”

© Chëf/Cyclope Prod

Il y a quelques mois, nous avons publié un long article sur le désamour croissant des jeunes pour le kebab traditionnel. Est-ce un constat que vous partagez ?

Besma | Je pense que le constat est plus général. Les gens délaissent les restaurants traditionnels et recherchent une cuisine plus élaborée. Pour autant, je pense que le kebab ou le burger resteront toujours des plats populaires et plébiscités car ils sont bons et rapides à manger. On le voit avec notre clientèle, qui va de 25 à 60 ans et qui rassemble vraiment des gens de tous les milieux et des profils très différents.

Nous en sommes hyper heureux car c’était un pari qu’on s’était lancé à l’ouverture : contenter le puriste, mais aussi faire découvrir ou réhabiliter le kebab auprès d’une clientèle qui n’en mangeait pas ou plus. C’est très cool de compter parmi nos clients réguliers de nombreuses familles du quartier et de voir que les parents et les grands-parents, parfois, prennent autant de plaisir que leurs enfants à nous déguster.

“C’était un pari qu’on s’était lancé à l’ouverture : contenter le puriste, mais aussi faire découvrir ou réhabiliter le kebab auprès d’une clientèle qui n’en mangeait pas ou plus”

© Chëf/Cyclope Prod

Comment avez-vous bossé vos recettes ?

Redouane | Entre l’idée et l’ouverture de Chëf, il y a eu quatre ans. Donc, on a tout mené de front : trouver un local, obtenir un prêt, améliorer notre concept et trouver les recettes parfaites. Au final, les galères qu’on a eues nous ont permis de travailler nos recettes maison à fond. On a d’abord pris chaque élément qui compose un kebap un par un, en cherchant notre recette parfaite : composition et forme du pain, marinade pour la viande, variété et cuisson des frites, création des cinq sauces (blanche, Berlin, Sheitan, Tarator et sésame) et le choix des légumes.

Qu’est-ce qui vous a fait le plus galérer ?

Redouane | Certaines sauces comme la sauce Sheitan, c’est allé très rapidement. Alors que pour d’autres, ça était beaucoup plus dur à obtenir, comme la sauce sésame. Ce qui nous a donné le plus de fil à retordre, ça doit être le pain et la viande. On a demandé à notre boulanger de faire trente tests avant d’arriver à ce qu’on attendait. Le boulanger n’en pouvait plus de nous.

Ça a été des mois de travail et des centaines de tests avec notre mère et à partir des critiques de nos potes. Une fois qu’on a considéré que tout était parfait, il a fallu trouver un bon dosage pour arriver à un équilibre entre l’ensemble des ingrédients… À force de dégustations, on est arrivés au kebap “de nos rêves”. En tout cas, celui qui nous fait plaisir et qu’on aurait aimé manger tous les jours.

“L’une des théories les plus démentes, c’est : ‘Si vous achetez un kebab, vous participez au financement de la Turquie ou vous aidez Erdogan !’ Je suis pas certain qu’on dise à un mec qui achète une pizza qu’il finance l’Italie ou la Cosa nostra”

© Chëf/Cyclope Prod

Diriez-vous que le kebab vit aujourd’hui, avec son émanation “berlinoise”, une seconde jeunesse, ou qu’il continue de souffrir de préjugés et de stéréotypes négatifs ?

Redouane | On ressent un vrai engouement autour du kebab, que ce soit dans le nombre de restaurants qui ouvrent, leur réussite et même dans la culture populaire. On a vu l’émergence de spécialistes, de livres, de nombreux articles, de documentaires et maintenant d’un concours avec la présence d’un des critiques les plus réputés de France autour de ce produit… Je ne suis pas certain que cela aurait été possible il y a dix ans.

Pourtant, on constate tous les jours avec les commentaires sur les réseaux sociaux que beaucoup de gens méprisent le kebab et le considèrent encore comme “une viande avariée” et plein d’autres préjugés de fous existent encore… L’une des théories les plus démentes, c’est : “Si vous achetez un kebab, vous participez au financement de la Turquie ou vous aidez Erdogan !” Je ne suis pas certain qu’on dise à un mec qui achète une pizza qu’il finance l’Italie ou la Cosa nostra. Bref, il existe encore plein de mythes autour du kebab.

C’est quoi le secret d’un kebab réussi ?

Besma et Redouane | De la générosité et l’envie de faire simple et bon, sans prétention.

Comment avez-vous réagi au classement de Très Très Bon ?

Besma | Choqués ! Pour être tout à fait honnête, on est encore surpris aujourd’hui de notre victoire dans ce concours. Avoir pu participer à une finale aux côtés de si belles institutions, on n’arrive toujours pas à y croire. Mais on est vraiment fiers d’avoir ramené ce titre honorifique à Lyon. Il nous prouve surtout qu’on est dans le vrai et nous pousse à continuer à faire kiffer nos clients.

“Il y a plein d’excellents kebabs en France et chacun a des affinités particulières avec son adresse et l’envie de défendre son chef”

© Chëf/Cyclope Prod

Comment s’est passée la dégustation ? La visite de l’équipe ?

Redouane | Apparemment, ça a dû plutôt bien se passer. Mais je ne vous aurais pas dit ça le jour de la dégustation car ça a été un gros coup de pression. Pour qu’on soit le plus naturels possible, on a appris la venue du jury à Chëf la veille de leur passage… Pour tout vous dire, nous ne savions même pas si nous serions retenus pour le concours. En tout cas, même si c’est allé très vite, c’était un moment hyper sympa. Toute l’équipe a été bienveillante, ils nous ont mis à l’aise et ce n’est pas tous les jours qu’on répond aux questions de François-Régis Gaudry, un Lyonnais qui plus est, en coupant sa broche. Ça reste un souvenir génial.

On a vu quelques personnes se plaindre de l’existence d’un tel classement, jugé comme trop peu objectif.

Besma | C’est normal ! Il y a plein d’excellents kebabs en France et chacun a des affinités particulières avec son adresse et l’envie de défendre son chef. On a vu à la délibération des trois jurés qu’ils n’étaient pas toujours d’accord et qu’élire “le meilleur” de quoi que ce soit reste très subjectif. Nous sommes très contents d’avoir gagné et on n’oublie pas le talent des autres kebabistes.

La théorie contemporaine voudrait que, une fois que l’on a goûté à un bon kebab, on ne retourne jamais ensuite dans les enseignes un peu moins qualitatives que l’on pouvait fréquenter auparavant. C’est vrai ?

Redouane | Personnellement, il m’arrivera toujours d’aller manger dans un kebab plus tradi par ce que c’est un plaisir différent. Et je peux vous assurer que je me régalerai toujours [rires].