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On a discuté avec les chasseurs d’agaves à l’origine du “mezcal marseillais”

On a discuté avec les chasseurs d’agaves à l’origine du “mezcal marseillais”

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© Lorraine Hellwig/REVEEAL

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Par Robin Panfili

Publié le

Arrachés pour préserver l'écosystème local, les cœurs d'agaves du littoral marseillais sont désormais transformés en eau-de-vie.

Nichés dans les calanques de Marseille ou sur les îles du Frioul que l’on aperçoit depuis la corniche, on pense souvent que les agaves font partie du paysage. Mais ces plantes vertes épaisses, rappelant le Mexique et des décors presque désertiques, poussent partout, sans que l’on puisse rien y faire, mettant en péril l’écosystème local. Aujourd’hui, on estime qu’il ne faudrait pas moins de dix années pour réussir à s’en débarrasser complètement.

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Depuis 2017, il a donc été décidé de prendre les choses en main et le problème à bras-le-corps. Le projet européen Life Habitats Calanques, un vaste plan de protection des milieux naturels et des plantes menacées du littoral provençal, a vu le jour, se résumant (entre autres) à améliorer les sentiers, replanter des espèces végétales protégées en déclin et arracher à la machette les agaves et ses congénères envahissants, avant de les expédier sur le continent, en bateau ou en hélicoptère, afin de les valoriser en compost.

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En découvrant cette surprenante entreprise, deux créateurs-designers, Axel Schindlbeck et Justine Batteux, réfléchissent alors à une idée un peu folle. Lors d’une balade sur le Frioul, Axel se souvient d’un voyage au Mexique et s’imagine déjà transformer tout cet agave en eau-de-vie. Après tout, pourquoi se contenter d’une classique valorisation en compost alors que l’on pourrait transformer cet agave en un produit bien plus ludique ? Quelques années plus tard, nous y voici : Josiane et Viviane, deux alcools issus de l’arrachage des agaves d’Amérique marseillais, sont nées. Il y a quelques semaines, Axel Schindlbeck a accepté de nous raconter leur histoire.

Konbini food | Axel, qui es-tu vraiment ?

Axel Schindlbeck | Je suis designer, enseignant, entrepreneur allemand, et j’essaie désormais d’envahir la culture française avec de l’alchimie mexicaine en circuit court. Mais j’ai aussi d’autres occupations : je suis à l’origine d’une horloge pour les écoles afin de faciliter l’accès des élèves aux maths et je dessine actuellement le mobilier pour un cinéma plein air dans l’État de New York.

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Et les agaves dans tout ça ?

Ce distillat d’agave est porté par mon association REVEEAL, un laboratoire à but non lucratif voué à expérimenter de nouvelles méthodes de production durables. On essaie d’utiliser que des déchets comme matière première. Pour la Josiane et la Viviane, en l’occurrence, ce sont les agaves d’Amérique arrachés sur le littoral marseillais. Pour faire simple, notre mission est d’accompagner des institutions pour réfléchir à la revalorisation de leurs déchets. Et si cela permet d’en faire par exemple une cuvée limitée de distillat d’agave, tant mieux.

Vu de l’extérieur, les agaves sont de jolies plantes. Quel est le problème avec leur présence sur les îles du Frioul et dans les calanques ?

Les agaves sont considérés comme des espèces végétales exotiques envahissantes – des EVEE, d’où notre nom REVEEAL. C’est-à-dire qu’ils prennent le dessus sur les plantes locales, endémiques ou protégées. Les plantes exotiques sont une des premières causes de réduction de la biodiversité dans le monde. Ainsi, du fait de leur présence sur le Frioul et sur le parc national des Calanques, il fallait lutter contre leur propagation.

© Lorraine Hellwig/REVEEAL

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Comment vous est venue l’idée de récupérer et distiller ces plantes ?

Devenu amateur de mezcal après un voyage au Mexique, je me suis baladé sur le Frioul. Veni, vidi, agavi. J’ai vu des agaves partout. Et je me suis dit : “tiens, si on faisait du mezcal ici ?” Les agaves étant considérés comme indésirables, on a proposé de valoriser ces nouveaux “déchets verts” provenant des opérations de gestion du projet Life Habitats Calanques et, bingo, ça a été accepté. 

À ce moment, vous saviez déjà que vous alliez le distiller et le transformer en alcool ?

Primo, l’idée c’était de faire de l’alcool. Mais puisque d’autres parties de la plante – ainsi que d’autres plantes comme le figuier de Barbarie – restaient inexploitées, je me suis intéressé à tout un tas de valorisations possibles. Des fibres pour développer des applications textiles, de la chair des figuiers de Barbarie pour une application d’assainissement d’eau…

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Récupérer des plantes invasives dont tout le monde veut se débarrasser… j’imagine qu’il a fallu expliquer votre projet.

J’ai pris contact avec le parc national des Calanques en 2017, pile au moment où le projet et la volonté de protéger les milieux naturels et les plantes menacées du bord de mer est né. Puisqu’il n’existait pas à l’époque de processus connu de valorisation de leurs déchets verts autre que le compostage, la proposition de les transformer en un produit les a séduits.

Comment se sont organisés la collecte, le rapatriement des agaves et le stockage ?

Une fois l’arrachage terminé, nous avons reçu un coup de fil. Dans les 24 heures qui suivaient, nous sommes arrivés sur place pour trier les agaves d’Amérique arrachés, couper puis enlever les feuilles et conserver uniquement seulement les cœurs. Un bateau a ramené tout ça jusqu’à l’entrée du Vieux-Port de Marseille. Une fois la benne vidée, on a récupéré le tout et on l’a amené à la distillerie.

Une fois les agaves en main, comment avez-vous procédé pour la distillation… qui est unique en son genre ?

Au départ, on a réalisé un premier test de cuisson avec 80 kg de cœurs d’agave dans un four tricentenaire à Cucuron, en 2018. L’année suivante, on y est retournés avec 1 500 kg dans un fourgon Sprinter rempli à ras bord. Benoît, le boulanger, n’en revenait pas. C’était un peu fou. On a stocké les agaves dans la cave de la boulangerie et, pendant trois semaines, on y retournait pour cuire 300 à 400 kg d’agaves chaque week-end.

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Vous teniez le choc ?

Chaque semaine, les agaves commençaient à moisir de plus en plus dans la cave. Tous les vendredis soir, on taillait les endroits pourris avant d’enfourner vers minuit. À la fin, on était encore plus cuits que les agaves. On a vite compris qu’il fallait changer de méthode. C’est comme ça que l’idée de cuire directement dans la distillerie de Theresa Bullmann et Martial Berthaud, l’alchimiste de l’Atelier du Bouilleur, est née, comme une évidence.

Combien de temps et d’essais vous a-t-il fallu avant d’arriver à un résultat qui vous satisfaisait ?

Le résultat en bouche était convaincant depuis le début. Le problème, c’était le rendement. On n’a pas immédiatement compris nos erreurs, de la cuisson à la fermentation. Et il faut savoir que l’agave, ce n’est pas la même approche qu’un alcool à base de marcs ou de fruits. Aujourd’hui, trois ans plus tard, on comprend enfin mieux les détails de tout le processus.

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L’agave est destiné à disparaître – ou tout au moins à se faire plus discrète dans les calanques et les îles du Frioul. Quand vous ne pourrez plus distiller, c’est que vous aurez gagné le combat ?

Si on arrive à retirer tous les agaves des calanques, on n’aura pas gagné le combat… mais, en revanche, on aura beaucoup de boulot pour distiller la Josiane [rires]. Plus que ce que l’on peut assumer actuellement, en tout cas. On aimerait poursuivre ce travail ailleurs, en dehors du parc des Calanques. L’idée de la Josiane, c’est “l’esprit des derniers agaves”. En clair, là où nous les avons arrachés, ils ne reviendront pas… ou presque. On avait souvent l’idée de faire les chasseurs d’agaves, comme les ghostbusters : “Si vous avez des agaves chez vous, on les enlève et on capture leur esprit dans notre alambic.”

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Dans le pays du pastis, comment la naissance de cette eau-de-vie a été reçue par le public et ceux à qui vous l’avez fait goûter ?

Les gens en sont totalement fans, 90 % de nos clients sont à Marseille. Le fait d’avoir fait cela en respectant le territoire et de l’environnement, en utilisant les rémanents des arrachages dans le parc des Calanques, le circuit court… cela a du sens. J’aime penser que tout le monde s’attendait à ce projet.

Comment prévoyez-vous de le commercialiser ?

Nous distribuons uniquement sur notre propre réseau, pour l’instant. Mais évidemment, nous avons des collaborations en tête, comme celle que nous préparons avec Guillaume Ferroni, qui prépare sa version “anejo”, vieilli en fût, de la Josiane. Patience…

Peut-on aller jusqu’à dire qu’il s’agit du premier “mezcal marseillais” ?

C’est le premier distillat d’agaves fabriqué entièrement localement en France, et probablement même en Europe. En tout cas, nous sommes en contact avec des distributeurs et des entreprises qui importent du mezcal du Mexique vers l’Europe, et on nous dit que c’est une première, la Josiane.

Les eaux-de-vie sont disponibles en ligne ici.