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Pourquoi Top Chef séduit aussi ceux qui se fichent de la cuisine

Pourquoi Top Chef séduit aussi ceux qui se fichent de la cuisine

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Par Robin Panfili

Publié le

Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?

Avec onze saisons au compteur et des milliers de fidèles téléspectateur·rice·s à chaque diffusion, le succès de l’émission Top Chef n’est plus vraiment à prouver. Au fil des années, Top Chef et M6 ont réussi le pari d’installer durablement un concours culinaire dans l’univers très concurrentiel du petit écran, en mettant en avant toute une génération de jeunes chefs. Mais pas que. L’autre prouesse du programme a été de séduire et toucher une cible bien plus large que les puristes de la cuisine et autres passionné·e·s de gastronomie.

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En janvier 2018, une étude statistique réalisée par la chaîne évaluait ainsi à 90 % la proportion de Français qui connaissaient le programme. Pour sonder et évaluer cet engouement autour du programme, nous sommes alors partis à la rencontre de téléspectateur·rice·s viscéralement fidèles à Top Chef, sans pour autant être particulièrement porté·e·s sur la gastronomie le reste du temps.

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C’est le cas de François, 33 ans, qui suit l’émission avec assiduité depuis maintenant près de trois ans.Je ne pense pas qu’on soit allés jusqu’à inviter des gens pour regarder en groupe, mais à l’époque où j’étais encore en coloc, c’est rapidement devenu un rendez-vous régulier pour se retrouver et manger ensemble, ce qui n’arrivait pas forcément souvent, explique-t-il. “Aujourd’hui, c’est aussi un rendez-vous avec ma copine, mais un rendez-vous entre guillemets, juste parce que ça ne me viendrait pas à l’idée de regarder un épisode sans elle, l’un ne peut pas être en avance sur l’autre.”

Rendez-vous hebdomadaire

S’il aime bien manger – et manger bien –, ou se faire un bon restaurant de temps à autre, il définit son rapport à la cuisine et à la gastronomie comme “assez banal“. “Je ne suis pas passionné dans le sens où je n’analyse pas les plats que je mange et que je peux parfois me satisfaire de peu, et je ne suis pas l’actualité des restaurants étoilés ou cotés pour y organiser une sortie plusieurs semaines à l’avance. Je n’ai aucun budget bouffe, ce n’est clairement pas l’une de mes sources principales de dépenses, et je ne suis pas sûr d’avoir déjà ressenti une grande émotion à la dégustation d’un plat – probablement par manque d’éducation culinaire.”

Jordie, chargée de production dans une agence de touring d’artistes, se retrouve dans un cas de figure similaire. Depuis dix ans, c’est-à-dire depuis la création de l’émission, rares sont les diffusions d’épisodes qu’elle a manquées. “Je réserve souvent mes mercredis soir pour ça, et mes potes le savent bien.” Son rapport à la nourriture est, de son côté, clairement mineur. “Je ne me nourris pas très bien, je le sais. Ça vient probablement de mon enfance, durant laquelle j’ai plus été habituée aux plats réchauffés au micro-ondes qu’aux grands repas interminables à table.”

Ce qui ne l’empêche pas d’accorder une place certaine à l’émission dans son quotidien. Tous les mercredis soir, elle organise chez elle une soirée bingo devant le programme avec des amis. “On se fait à manger, mais pas vraiment du Top Chef. C’est plutôt une raclette ou des pizzas, par exemple, reconnaît-elle. Manger une pizza devant Top Chef, franchement, c’est la vie”.

Émission accessible… et bien montée

Si l’engouement auprès d’un public moins confirmé en matière de cuisine et de gastronomie est donc indéniable, vient ensuite la question du pourquoi. Qu’est-ce que l’émission peut-elle bien avoir de si spécial pour fédérer une audience aussi large et hétéroclite ? François a plusieurs hypothèses. D’abord, la nature du concours : “Contrairement à d’autres concours comme The Voice ou même Koh-Lanta, tu n’es pas dans l’émotion immédiate, surtout parce que tu as une énorme limite, qui est celle de ne pas pouvoir goûter toi-même les plats et de devoir te fier à l’avis d’un autre.”

Ensuite : l’accessibilité (relative) et la portée pédagogique du concours : “Peut-être que les gens suivent parce qu’ils se disent que pour une fois, c’est quelque chose qu’ils pourraient éventuellement se sentir capables de refaire chez eux, suggère-t-il. C’est sûr que c’est toujours plus fun que de faire un concours de qui tient le plus longtemps sur un poteau.” Enfin, la force du casting et du montage : “C’est comme toute série que tu commences, tu as un montage fait pour t’attacher rapidement à certains et rejeter d’autres, et avoir envie de voir ce qu’il va advenir d’eux. Et la team actuelle des quatre chefs est clairement la meilleure association depuis le début, en tout cas la plus facile à apprécier”.

Jordie partage le même constat : “Je pense que les gens qui regardent Top Chef ne sont pas des gens qui cuisinent forcément beaucoup. C’est vraiment quand tu mates une émission de télé et que tu veux savoir qui va gagner à la fin, dit-elle. Mais je n’ai personne dans mon entourage qui regarde Top Chef au premier degré, à prendre des notes au fil de l’émission”.

“Une téléréalité qu’on peut regarder sans honte”

Parmi les arguments qui motivent chaque mercredi François à allumer sa télévision pendant près de trois heures, il y a bien sûr la fraîcheur et la jeunesse des candidats, mais également ce qu’il appelle la “douleur de la création” – on n’aurait pas dit mieux. En clair, le moment pendant l’épreuve où il y a quelque chose qui bloque qui oblige le candidat à sortir de son truc, et soit à se planter totalement, soit à parvenir à se sortir d’une impasse et à créer autre chose. Je crois que j’aime vraiment les voir beaucoup souffrir – c’est très sadique – pour au final délivrer quelque chose de très beau”. Sans oublier l’expertise des chefs invités et des jurés qui apporte une vraie plus-value au programme.

“Mine de rien, j’ai envie de comprendre la cuisine, et pourquoi l’avis que je me fais, moi devant ma télé, du plat d’un candidat va être à l’opposé de celui des chefs, et en quoi le plat va leur procurer une émotion, dit-il. J’aime bien les entendre parler de la création qu’ils ont devant eux – et clairement à ce jeu-là, Piège est au-dessus du lot –, ou voir des vieux chefs comme Gagnaire ou Veyrat s’extasier sur certains plats.”

Et au petit jeu du coaching de candidats, François tient là-aussi son chouchou : le chef multi-étoilé Pierre Gagnaire. “C’est le meilleur, pas sur la dégustation, mais sur l’accompagnement des candidats pendant les épreuves, il est au-dessus de tous.” Jordie, elle aussi, identifie assez bien ce qui la pousse à se brancher sur Top Chef depuis dix ans maintenant : l’opportunité de pouvoir découvrir des recettes créatives à partir d’aliments simples (pâtes, pommes de terre…) et la dimension “compétition” de l’émission. “C’est vraiment pour le kif, un peu comme je regarderais une émission comme Recherche appartement ou maison, ajoute-t-elle. Il faut dire que j’aime bien les émissions de concours en général. Et ça reste de la téléréalité au final, tu t’attaches aux personnages.” Mais pas une téléréalité comme les autres, conclut François. “Contrairement à beaucoup d’autres téléréalités, ç’en est une qu’on peut dire regarder sans honte.”