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Une “junk food” saine et équilibrée est-elle possible ?

Une “junk food” saine et équilibrée est-elle possible ?

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© NBC

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Par Robin Panfili

Publié le

On a discuté avec les auteurs du livre "Good Junkfood".

Voilà plusieurs décennies que, n’importe où à travers le monde, la “junk food” attise les passions. À la fois plaisir coupable et catalyseur de tous les maux, elle est devenue l’un des grands sujets à controverse de la gastronomie moderne. Pour répondre à ce nœud sociologico-culinaire, un livre vient de voir le jour, Good Junkfood, prônant une ouverture d’esprit et offrant des aménagements qui pourraient enfin rendre la “junk food” conciliable avec la notion d’équilibre alimentaire. David Nouet, diététicien nutritionniste, et Julie Schwob, autrice de livres de cuisine depuis quinze ans, ont répondu à nos questions.

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Comment est née l’idée de ce livre ?

David Nouet | Tout est né d’une précédente collaboration où nous avions déjà réfléchi à la manière de combiner le “bon à manger” et le “bon pour la santé”. J’ai pu également constater, dans ma pratique professionnelle, une cacophonie, voire une discordance entre les aspirations gustatives des consommateurs et les recommandations nutritionnelles qui majorent la culpabilité plus qu’elles n’aiguillent. Nous avons donc voulu faire entendre qu’il était tout à fait possible de rendre conciliable le concept de “junk food” avec une approche d’alimentation saine.

© Good Junkfood

Quelle a été la plus grande difficulté dans l’élaboration des recettes ?

David Nouet | Le goût forcément. Que ce soit bon et que le consommateur retrouve certains marqueurs gustatifs de recettes emblématiques. L’autre difficulté est d’utiliser des ingrédients à haute valeur nutritionnelle comme un apport en fibres, minéraux ou vitamines remarquables ou bien des aliments avec spécifiquement une densité calorique faible dans un contexte de recettes où ils n’ont, a priori, pas leur place. Il faut ensuite que, culinairement parlant, cela opère.

Julie Schwob | J’avoue que nous avons eu quelques échanges musclés avec David sur certaines recettes, car mes recettes de base des classiques américains comme le cheesecake ou le carrot cake étaient vraiment très… “riches”, et c’est un euphémisme. David m’a poussée à les revoir en les rendant plus intéressantes au niveau nutritionnel, tout en gardant le plus important : leur goût typique.

“Tout comme la notion de ‘plats sains et diététiques’ auxquels on associe parfois un manque de goût et de saveurs, la junk food n’échappe pas non plus aux stéréotypes.”

Le problème avec la “junk food”, c’est aussi les préjugés qui lui collent à la peau.

David Nouet | Tout comme la notion de “plats sains et diététiques” auxquels on associe parfois un manque de goût et de saveurs, la junk food n’échappe pas non plus aux stéréotypes, à savoir des préparations très caloriques. Ces deux modes de consommation ont toujours été présentés comme antinomiques, car il est toujours plus simple, au risque d’être simpliste, de classifier les choses. L’alimentation n’échappe pas à la règle. Le challenge était de conserver certains marqueurs de goût mais surtout de ne pas dénaturer “l’esprit du plat”, tout l’imaginaire qu’on lui associe.

© Good Junkfood

Le mantra du livre, c’est “Manger sans culpabiliser”, qu’entendez-vous par là ?

David Nouet | Au même titre que la sexualité autrefois, l’alimentation a toujours porté le poids des préjugés et du moralisme où il faut museler ses désirs gourmands ou, au contraire, les combler sans modération mais avec beaucoup de culpabilité. On a intégré un certain ordre moral dans l’alimentation à coups de recommandations médicales et de “guidelines” nutritionnelles qui ont amené les consommateurs à un rapport ambivalent avec l’alimentation : “Je sais que ce n’est pas bon pour moi mais…” Ou bien la règle du “tout ou rien”. Le meilleur exemple passe par les publicités qui vantent un produit qui est automatiquement associé à des messages de prévention, accentuant le rapport schizophrénique du mangeur avec l’alimentation.

“Au même titre que la sexualité autrefois, l’alimentation a toujours porté le poids des préjugés et du moralisme où il faut museler ses désirs gourmands ou, au contraire les combler sans modération mais avec beaucoup de culpabilité.”

Vous insistez aussi beaucoup de la notion de plaisir.

David Nouet | L’idée du livre est de proposer un changement de paradigme : s’écouter avant tout, être à l’écoute de ses envies, de ses émotions du moment. Aucun aliment n’est mauvais en soi, tout dépend du moment, de notre faim, de nos appétences. Le livre propose bien entendu des suggestions pour préparer des recettes moins caloriques mais il prône avant tout le plaisir de se faire plaisir en prêtant la plus grande attention aux sensations qu’elles procurent.

© Good Junkfood

On dit souvent que lorsqu’on reproduit un classique des chaînes de fast-food chez soi, on a généralement plus envie d’y retourner ensuite. Vous partagez ce constat ?

Julie Schwob | Comme tous les enfants, mon fils de 10 ans a envie d’aller manger dans les fast-foods. Les publicités lui font envie, les copains y vont, le goût des aliments est “doux” et “facile”. De mon côté, ça me rappelle mes 18 ans quand je travaillais au grill d’une grande chaîne de burgers, donc on y va de temps en temps, mais passé ce côté régressif, nous en sortons souvent déçus et sur notre faim, au sens propre comme au figuré. Les saveurs sont fades, l’ensemble est très “mou”… et nous ne sommes pas rassasiés longtemps… Du coup, j’ai appris à mon fils à faire des “tenders” maison qu’il assaisonne comme il le souhaite et qu’il nous prépare régulièrement. C’est plus long à préparer mais autrement savoureux. Et ses copains adorent aussi.

“Le fait de manger un burger ou un hot dog avec les mains représente un marqueur fort de la junk food, plus encore que la dose de ketchup à l’intérieur.”

Au fil du temps, et tout particulièrement dans la situation actuelle, on semble avoir sémantiquement glissé de la “junk food” à la “comfort food”. D’où vient ce revirement ?

David Nouet | Selon moi, la junk food se définit davantage par une façon de manger plus que par des caractéristiques lipido-glucidiques. Le fait de manger un burger ou un hot dog avec les mains représente un marqueur fort de la junk food, plus encore que la dose de ketchup à l’intérieur. Elle est aussi bien synonyme de liberté, que de praticité (fast-food = rapidité, optimisation du temps) ou pour certains, comme pour les adolescents, synonyme de transgression (manger avec les mains encore…), un moyen de se rebeller contre ses parents et la sacro-sainte structure classique de repas. Elle est aussi un marqueur identitaire fort où le groupe de copains aime se retrouver dans les fast-foods. La comfort food, quant à elle, s’intègre davantage dans un registre émotionnel.

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C’est-à-dire ?

David Nouet | Le comfort food ou aliment-réconfort, est par définition un aliment familier qui suscite un réel sentiment de réconfort et de bien-être lorsqu’il est consommé. Ces plats peuvent ramener une personne à des souvenirs d’enfance, chaleureux et joyeux. Ce n’est pas un hasard si ce terme est apparu durant la crise financière des années 2000 aux États-Unis. Choisir des aliments qui nous font du bien est un moyen de répondre à un stress émotionnel. L’engouement pour la cuisine durant le confinement en lien avec la crise sanitaire actuelle s’inscrit dans cette même logique. Le pari de notre livre est de faire évoluer le concept “fast-food” vers la “comfort food” pour se faire du bien dans sa tête pour aboutir vers la “good junk food” qui prouve qu’on peut aussi faire attention à sa santé.

“Selon moi, la junk food se définit davantage par une façon de manger plus que par des caractéristiques lipido-glucidiques.”

Vous parlez du “mindful eating” dans le livre qui impliquerait de se reconnecter à soi et à son corps. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

David Nouet | Le “mindful eating” est une approche qui propose d’appréhender l’acte de manger sous un angle différent, c’est-à-dire en pleine conscience, en prêtant attention à tout ce qui se passe au moment des repas. Il invite à se reconnecter à soi et à son corps. Il peut être un moyen d’adopter de nouveaux comportements alimentaires plus sains et plus durables dans le temps. C’est aussi en cela que notre proposition de “good junk food” se démarque de la junk food en invitant les personnes à prendre conscience des gestes, des pensées, des émotions, du ressenti et des motivations qui s’expriment lorsqu’elles mangent, afin de se reconnecter à eux-mêmes et d’apprendre à faire confiance à leur corps et à ses mécanismes de régulation.

Vous livrez quelques astuces dans le livre. Pouvez-vous en citer quelques-unes et nous dire en quoi elles peuvent être essentielles dans une démarche de “good junk food” ?

Julie Schwob | Ce sont des astuces que nous voulions partager avec les lecteurs pour qu’ils puissent également améliorer leurs propres recettes en leur apportant une valeur nutritionnelle plus intéressante. Par exemple, on suggère de remplacer le sucre blanc d’une recette par du sirop d’agave ou parfois par de la banane écrasée, ou la matière grasse d’un gâteau par de la courgette râpée… À eux ensuite d’adapter ces astuces à leurs grands classiques.

Quel est le plat ou la recette dont vous êtes le plus fier dans le bouquin ?

David Nouet | Je vais laisser Julie s’exprimer sur ce point, mais, pour moi, c’est le burger. Celui que je prépare avec ma fille tous les vendredis soir après une semaine de travail et d’école pour elle. Un moment important de partage.

Julie Schwob | Le cheesecake, sans hésiter ! La recette du livre a réussi à recevoir le pouce en l’air de Stephen, mon conjoint américain, qui est vraiment exigeant sur le sujet, car il garde en comparaison celui que sa maman lui préparait à Bedford en Pennsylvanie quand il était petit.

Good Junkfood (Flammarion)
David Nouet et Julie Schwob
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